Pour
commencer le portrait de l'un de mes auteurs favoris du moment, permettez moi
de vous raconter une petite anecdote :
A la
fin du mois de mars 2011, enceinte jusqu’aux oreilles de mes deux premiers
enfants (oui, deux…), je me rends avec mon compagnon à la maternité de
Saint-Cloud pour déclencher l’accouchement. Je ne le sais pas encore, mais la
procédure va durer plus de quarante-huit heures, durant lesquelles il m’est
impossible de dormir, contractions obligent… Plein de sollicitude, mon fiancé
s’empresse de me procurer, dès les premières heures, le nombre de livres
susceptible d’assurer ma survie jusqu’à la délivrance. Je n’ose pas le lui
dire, mais pour la première fois de mon existence, sans doute, la seule idée de
parcourir ne serait-ce qu’une page d’écriture m’est insupportable. Je n’ai
qu’une seule envie : me concentrer sur la bataille intérieure qui se déroule
alors (confiée à des soldats très indociles, qui n’ont aucun désir de quitter
le campement de base…) pour en finir au plus vite et rapatrier les troupes. Je
fais cependant l’effort de lire les quatrièmes de couverture. L’une d’entre
elle pique particulièrement ma curiosité, et dans un moment d’accalmie, je
décide, un peu malgré moi, de lire quelques lignes du roman.
Bref,
l’accouchement se passe (très bien, oui, je vous remercie…), et l’on me conduit
dans l’une de ces chambres pour nouvelle parturiente où je vais résider une
semaine. Comme il m’est impossible de dormir plus de vingt minutes d’affilée
avec deux nourrissons extrêmement vivaces et affamés, je profite des quelques
instants de repos qui me sont accordés pour jeter un œil, de loin en loin, sur
cette histoire qui me reste, par la force des choses, inaccessible.
Ma
revanche viendra après notre retour à la maison : Le livre ne me quitte plus,
je l’ouvre à la première occasion, entre quatre couches et huit biberons…
Enferrée ! Capturée par l’intrigue, d’autant plus bouleversée par le moindre
événement qui se déroule sous mes yeux qu’un rien me fait fondre en larmes (il
suffit, comme dirait Pennac, que l’un de mes tout-petits se coince le doigt
entre deux oreillers…). Bluffée, jusqu’au bout…
Ce
roman, c’était La Tour noire, de Louis Bayard. A peine la dernière
ligne achevée, je me procure Un Œil bleu pâle, puis, L’Héritage
Dickens, juste après mon déménagement au Puy. Irrésistiblement, la lecture
de chacun de ses ouvrages me ramène aux circonstances qui me l’ont fait
découvrir… Comme quoi, un livre, ce n’est pas seulement un livre.
Ceci
étant dit, quid de Louis Bayard ? Les éléments biographiques sont rares, et
n’abordent la plupart du temps que son travail d’écrivain et de journaliste,
les récompenses décernées, le chiffre des ventes et les projets. L’efficacité à
l’américaine… Ce que l’on sait de prime abord tient en peu de lignes:
Louis
Bayard est né en 1963 à Albuquerque, Nouveau Mexique. Après des études de
littérature et de journalisme à l’université de Northwestern, Louis Bayard
devient le contributeur régulier de journaux illustres tels que le Washington
Post, le New York Times ou le Los Angeles Times. Critique littéraire et
essayiste de talent, il couvre toutes sortes de sujets, qu’ils concernent le
fonctionnement de la société américaine, les hommes politiques qui la
gouvernent, ou bien la parution de nouveaux romans, et participe à trois
anthologies : Maybe Baby, The Worst Noël, et 101
Damnations. On peut d’ores et déjà y goûter son humour et un certain
penchant pour l’autodérision. Comme beaucoup d’auteurs américains conscients
d’exercer une véritable profession, avec tout le savoir-faire qu'elle peut
requérir, il s’adonne également aux joies de l’enseignement à l’université
George Washington en tant que professeur d’écriture créative.
En
juin 1999, il publie chez Alyson Books le roman Fool’s Errand, comédie
romantique aux multiples rebondissements se déroulant dans la communauté gay de
Washington D.C. Son second roman, Endangered Species (Alyson Books,
2001), raconte la quête désespérée d’un homosexuel pour offrir un descendant à
sa famille. Ces deux récits (non encore traduits pour le public français à ce
jour) se déroulent dans une Amérique contemporaine. Le génie de Bayard pour la
reconstitution historique ne sera révélé qu’avec son premier thriller.
Mr
Timothy (L’Héritage Dickens)
paraît en octobre 2004 chez Harper & Collins. Un autre article de ce blog
parle longuement de l’œuvre en elle-même, aussi ne m’y attarderai-je pas. Le
livre ne paraîtra en France qu’en septembre 2011, après Un Œil bleu pâle
et La Tour noire, publiés par le Cherche-Midi éditeur à partir de
2007. Après sa parution aux Etats-Unis, Mr Timothy entrera dans la
liste du New York Times des "notable books".
The
Pale Blue Eye (Un Œil bleu pâle)
est publié en 2006 aux Etats-Unis (août 2007 pour la France, qui, cette fois,
n’a pas raté le coche), et sera nominé pour l’obtention de deux récompenses :
le « Edgar Award », et le « Dagger Award ». Le roman nous
fait cette fois entrer dans les coulisses de la glorieuse West Point
Academy, frappée par une série de meurtres commis sur des élèves-officiers
en 1830. L’enquête est menée par Gus Landor, un ancien inspecteur de la police
criminelle de New York dont les mérites ont éveillé l’intérêt des hauts gradés
de l’école, et qui recrute sur place un jeune et talentueux acolyte : Edgar
Allan Poe. L’illustre écrivain fut en effet un pensionnaire de l’académie, de
juin 1830, quand il y fut accepté en raison de ses brillants états de service à
l’armée et d’une lettre de son père adoptif, John Allan, jusqu’en mars 1831,
après s’être fait volontairement renvoyer de l’école par dégoût pour la
discipline militaire. Nombre de lecteurs et de critiques s’extasient sur le
rebondissement final, mais admirent aussi l’ambiance créée, et le détournement
habile du célèbre écrivain en personnage de fiction. Dans un cadre historique
aussi impeccable que celui de L’Héritage Dickens, Bayard, après avoir
dévié les mécanismes de la fiction en redonnant naissance à un personnage
imaginaire créé cent cinquante ans avant lui, dresse un nouveau costume autour
d’un patron jadis bien vivant. Aux Etats-Unis, une fois de plus, journalistes
et public sont emballés, et le roman sera le premier à faire découvrir Bayard à
l’hexagone.
Avant-dernier
livre en date, The Black Tower (La Tour noire), sorti aux USA
en août 2008 en édition princeps (ed. William Morrow) et en mai 2010 au
Cherche-Midi, explore une nouvelle dimension du thriller historique en
introduisant les enjeux politiques de la Restauration. Son personnage « vedette
», tout aussi réel que Poe, n’en est pas moins entré dans la légende des
détectives made in France, et inspirera de nombreux personnages fictifs dont,
selon la rumeur, le Sherlock Holmes de Conan Doyle. Il s’agit du très
romanesque François Vidocq, ancien bagnard, entré à la Brigade de sûreté après
avoir fait ses armes en tant qu’indicateur de la police, grand modernisateur du
système d’enquête criminelle, à l’instar de Clémenceau avec ses « Brigades du
tigre ». Il fut également le premier fondateur historique d’une agence de
détectives privés (dix-sept ans avant la création de la célèbre Pinkerton
National Detective Agency), l’inventeur du papier infalsifiable, et le
défenseur de l’utilisation des empreintes digitales. Dans l’œuvre de Bayard, il
apparaît comme un géant aux mille ruses, gouailleur, plutôt rustre, mais d’une
incroyable finesse de raisonnement, comme il en fit sans doute réellement la
démonstration à ses contemporains. Son compagnon, le temps de l’enquête, est un
jeune étudiant en médecine, fils du docteur de l’infortuné Louis XVII qui se
trouve placé ici au cœur de l’intrigue. En France, le succès n’était pas assuré
: on connaît trop bien la vision que peuvent avoir certains auteurs américains
du Paris de « jadis », qu’ils transforment immanquablement en une carte postale
"couleur sépia" truffée de caricatures. Mais Bayard n’est pas tout à
fait un étranger chez nous : ses ancêtres huguenots ont fui la France et la
répression religieuse au XVIIe siècle, puis se sont installés à New York où ils
ont fait partie des premiers maires de la ville. L’auteur n’est pas de ceux qui
désavouent leurs origines : il admet être un grand amateur de Paris, où il se
rend régulièrement, et parle par ailleurs un français tout à fait correct.
C’est ainsi qu’il est parvenu à retranscrire avec une formidable fidélité la
capitale française en proie aux grands troubles liés à la Restauration et ses
meneurs, qui ne souhaitent rien tant que d’effacer la moindre trace d’une
quelconque révolution. Son évocation de la Terreur est tout aussi frappante, et
contribue à la noirceur de son œuvre. Le lectorat français ne s’y est
d’ailleurs pas trompé.
Son
ouvrage le plus récent, The School of Night (Holt, Henry & Company
inc., mars 2011), n’a pas encore été traduit en France et ne semble pas faire
partie des prochaines publications du Cherche-Midi. Nous savons d’ores et déjà
que l’intrigue se partage entre le Washington d’aujourd’hui et le royaume
d’Angleterre sous le règne de Jacques 1er, fondateur de la dynastie des Stuart
et fils d’Elisabeth 1ère. Une histoire toute aussi sombre que ses précédents
romans : Henry Cavendish, un érudit spécialiste de la période élisabéthaine
déshonoré par une grave erreur d’expertise, est abordé par Bernard Styles, un
collectionneur d’antiquités de triste réputation qui accuse le meilleur ami de
Henry de lui avoir dérobé une lettre très précieuse datant du XVIIe siècle. Il
se trouve que l’ami d’Henry vient de se suicider… Henry se lance alors dans la
résolution d’un mystère dont les origines remontent à la fameuse School of
Night (nommée à l'époque School of Atheism), ce cercle d’érudits
dont faisait partie entre autres Sir Walter Raleigh, Christopher Marlowe, mais
aussi le scientifique injustement méconnu Thomas Harriot qui mesura la gravité
terrestre soixante ans avant Newton et découvrit la comète qui sera baptisée,
un siècle plus tard, « Halley ». La vocation de ce cercle était de discuter,
dans le plus grand secret, de l’existence de Dieu, d’astronomie, de politique
et des arts obscurs… une entreprise périlleuse quand on sait que les malheureux
qui étaient surpris en train de tenir des propos "athéistes" étaient
immédiatement accusés de haute trahison, crime passible de la peine de mort.
Aucune
date de sortie prévue en France pour l’instant, mais on peut raisonnablement
espérer voir apparaître l’ouvrage dans les rayons des librairies cette année,
peut-être au cours de la pré-rentrée littéraire.
Il
semblerait que Louis Bayard soit actuellement en train d’écrire un nouveau
roman, pour lequel il avait demandé quelques conseils à ses lecteurs par
l’intermédiaire de son blogue. En effet, harcelé par son éditeur, il ne
parvenait pas à trouver un bon sujet pour sa nouvelle intrigue. Ses fans l’ont
arrosé de mails qui révélaient, d’après Bayard, leur érudition et leur
curiosité intellectuelle : leur simple lecture a fait germer l’idée qui lui manquait,
sans avoir à retenir aucune de leur proposition… Pour les remercier de leurs
efforts, il a cependant promis de leur rendre hommage dans son prochain récit
en nommant l’un de ses personnages… Reader !
Nous
n’avons donc pas fini, et c’est heureux, d’entendre parler de Louis Bayard.
Vous pouvez compter sur moi pour vous tenir au courant de son actualité des
prochains mois, mais si vous souhaitez faire le travail vous-mêmes, voici
l’adresse du site internet de l’auteur :
http://www.louisbayard.com
Vous
y trouverez toutes les informations officielles concernant Bayard, les
présentations et critiques de ses romans par les journaux américains, des liens
vers ses interviews, mais aussi vers les articles qu’il a lui-même rédigés, et
enfin, son blog (ce n’est pas un contributeur des plus réguliers, mais ces
petits mots sont toujours des plus agréables).
Louis Bayard possède également un compte Facebook et
un compte Twitter, accessibles depuis son site.