mercredi 29 février 2012

Un mois après, que reste-t-il du festival d'Angoulême ?


Le 39e festival international de la bande dessinée a fermé ses portes le 29 janvier dernier. Expositions, débats et rencontres ont permis, cette année encore, d’ouvrir au public les portes d’un univers aux facettes multiples et changeantes, reflétant plus que jamais les enjeux du monde actuel. Avec la consécration de Guy Delisle pour ses excellentes Chroniques de Jérusalem (fauve d’or 2012), dans lesquelles l’auteur nous embarque avec lui dans la ville aux trois religions où il séjourna pendant un an, c’est une certaine vision de la BD qui fut célébrée : un art au croisement des disciplines, tout autant témoignage journalistique qu’expérience graphique, vecteur d’opinions et d’expériences, bien au-delà des habituelles frontières dans lesquelles elle fut longtemps cantonnée. Un art vivant, en somme, comme en témoigne, entre autres, l’exposition Art Spiegelman qui se tient aujourd’hui encore dans la cité charentaise. 


« A la découverte d’Art Spiegelman » : Le président d’honneur du festival de 2012 s’expose dans le bâtiment Castro jusqu’au 5 mars. L’occasion de (re)découvrir un auteur indispensable, rendu célèbre par Maus, son chef-d’œuvre évoquant le sort tragique de sa famille juive polonaise durant la seconde guerre mondiale. Mais s’il s’est illustré dans une forme d’art baptisée, peut-être un peu hâtivement, « roman graphique », il est également un grand érudit de la bande dessinée, un éditeur et un illustrateur de talent, et un témoin privilégié des révolutions artistiques ayant eu lieu aux Etats-Unis (et particulièrement en Californie) dans les années soixante-dix. En suivant cette exposition, c’est tout un pan de l’histoire de la bande dessinée qui nous est révélé, entre émotion suscitée par le témoignage historique et graphique des deux tomes de Maus (planches originales, croquis, crayonnés, un régal pour les fans), délires psychédéliques des années San Francisco, et innombrables illustrations journalistiques, notamment pour le New Yorker, à partir des années 90. Chroniqueur acerbe, artiste de grand talent, Spiegelman a contribué à forger les liens noués aujourd’hui entre le neuvième art et les médias, la littérature et la cinématographie.
Après avoir séjourné à Angoulême, l’exposition se déplacera à Paris (centre Pompidou), puis à l’étranger.
 

 



            Exposition Art Spiegelman, Bâtiment Castro, rue de Bordeaux, 10h-19h. Jusqu'au 5 mars 2012.



           

mercredi 22 février 2012

Mémoire morte, Donald Westlake


Paul Edwin Cole est dans de sales draps. Après avoir été surpris par le mari de l’une de ses conquêtes en fâcheuse position, ce jeune acteur, belle gueule new-yorkaise en tournée dans l’Amérique profonde, se réveille dans un hôpital de province sans le moindre souvenir de ce qui a précédé son « agression ». Pis encore, sa mémoire immédiate s’étiole : les noms, les dates, les faits s’effacent au fur et à mesure qu’ils s’impriment, laissant le pauvre Paul comme une coquille vide qu’il va chercher désespérément à remplir. Pour financer son voyage-retour à New York, il trouve un job à la tannerie de Jeffords, et recouvre les murs de la petite chambre qu’il loue à la semaine de mots griffonnés à la hâte, sensés maintenir vivaces les quelques souvenirs qui hantent encore son esprit décharné. De retour à New York, il n’a pas d’autre choix que de se fier à ceux qui partageaient son ancienne vie pour tenter de reconstituer le puzzle du « véritable » Paul Cole.

Il y a le Westlake de Dortmunder, l’as de la cambriole poursuivi par la guigne, dont les tribulations ont égayé des milliers de fans du genre « comico-polar » dans lequel il s’était rendu maître. D’autres œuvres, celles-là beaucoup plus sombres, nous donnaient aussi l’occasion de découvrir la noirceur de son humour (souvenez-vous, dans Le Couperet, les scènes formidables de thérapie conjugale). Mémoire morte, j’ai le regret de vous l’annoncer, a peu de chance d’exciter vos zygomatiques. Ecrit en 1963, resté à l’abri des regards jusqu’à ce que son manuscrit soit découvert et publié en 2010 aux Etats-Unis, soit près de deux ans après sa mort, il fait partie de son « œuvre au noir », plus proche du roman psychologique que du véritable policier. C’est pourquoi j’ai finalement décidé de le publier sous la rubrique « Romans étrangers », et pas du côté des polars et thrillers. Cette quête d’une mémoire perdue aurait pourtant fourni le terreau idéal pour une intrigue policière. Scénaristes et auteurs ont souvent fréquenté cette voie (citons, entre autres, le film Memento, réalisé par Christopher Nolan), avec plus ou moins de succès. A l’époque où Westlake rédigeait son manuscrit, il avait déjà fait publier trois thrillers (trop respectueux du genre et pas assez personnels, selon leur auteur). Mémoire morte faisait donc déjà figure d’ovni par rapport au reste de sa production de jeune écrivain.
L’incident déclencheur du roman est digne d’un vaudeville : un mari cocu, fou de jalousie, un amant charismatique (le héros), une femme aux mœurs légères, et une bagarre qui ne pouvait manquer de se produire. Une fois Paul sorti du coma, cependant, c’est un tout autre tableau qui nous est présenté : perdu quelque part dans le midwest, chassé de l’hôpital où il fut hospitalisé par un shérif aux allures de cow-boy, il se retrouve seul face à l’énigme grandissante de sa propre vie. Une seule idée parvient à se maintenir dans le chaos de sa mémoire, retourner à New-York, « chez lui », et espérer que tout revienne en ordre. Hélas, le temps est pour lui un ennemi implacable, qui érode plutôt que de combler le gouffre défigurant sa mémoire. Chaque jour qui passe le laisse plus vide et désorienté ; son seul soulagement est de se plonger dans une routine anesthésiante. A Jeffords, le travail qu’il décroche à la tannerie stimule ses muscles et laisse son esprit en paix. De retour à New York, dans son petit appartement de Greenwich Village où il va s’enfermer progressivement, il consacre plusieurs heures quotidiennes à tout nettoyer avec une méticulosité qui frôle la monomanie. Ainsi ne prend-il jamais le risque d’une initiative malheureuse qui l’écarterait du chemin du véritable Paul, celui qu’il n’est plus, qu’il ne comprend plus, dont il ne partage ni les goûts ni les amitiés. Fatalement, il provoque malgré lui nombre d’incidents malheureux qui détournent de lui tous les personnages superficiels, infidèles et déloyaux qui peuplaient son existence passée. Paul Edwin Cole était un acteur, un jeune espoir de la scène américaine : comment poursuivre un telle carrière quand on n’est même pas capable de se souvenir des rendez-vous pris pour le jour même ? Chaque jour un peu plus, le héros devient une sorte d’étranger se sentant redevable envers l’ancien Paul Cole, comme s’il l’avait tué de ses propres mains, comme si, en le ressuscitant, il allait à coup sûr trouver le bonheur en même temps que le sens de la vie. Une quête de plus en plus absurde, déshumanisante par les humiliations qu’elle impose.
La déshumanisation est en effet au cœur de cette histoire étrange et désespérée. Car il semble qu’en étant privé de sa mémoire (de ses souvenirs anciens et de sa capacité à mémoriser le présent), le héros descende de quelques étages dans la pyramide des espèces. Son enfer personnel ne se trouve allégé que par les séances de travail machinal auquel il se livre chaque jour, et durant lesquelles il ne songe plus à rien et en perd la conscience de sa propre existence. Incapable d’assumer les traits et les caractéristiques du Paul Cole qui se dresse au sommet de la montagne vertigineuse dont il a entrepris l’escalade, terrorisé et honteux à l’idée d’amorcer une nouvelle vie, son enfermement progressif devient l’instrument de sa disparition aux yeux du monde. Ce qui distinguerait alors l’homme de l’animal serait sa capacité à influencer son environnement extérieur, un exploit inaccessible pour Paul, contraint de se reconstruire autour de données aléatoires et changeantes, effacées jour après jour pour être remplacées par les leurres qu’il se crée lui-même involontairement.
Westlake nous conte cette histoire dramatique avec une incroyable précision de style, que tous ses admirateurs reconnaîtrons aisément : quand l’un de ses personnages boit un verre de trop, c’est nous qui avons la gueule de bois. Une écriture rapide et pointue, exempte de toute préciosité, qui nous précipite sûrement dans les affres vécues par son malheureux personnage. Reste à la fin un roman superbe, brillant, à la lecture duquel, tragédie ultime, nous n’avons pas fini de regretter la disparition de son génial écrivain.

Mémoire morte (Memory), Donald Westlake, éditions Rivages/Thriller, janvier 2012 pour l’édition française.

samedi 18 février 2012

The Walking Dead



Avertissement : afin de mieux illustrer mon raisonnement, il me faut dévoiler dans cet article de nombreuses informations, qu’elles concernent le comic ou la série télévisée. Qu’on me pardonne, et qu’on se méfie : spoilers inside !
Pour ceux qui auraient réussi à échapper à la horde, voici résumée en quelques mots l’intrigue de Walking Dead : Rick Grimes, shérif grièvement blessé dans l’exercice de ses fonctions, se réveille d’un profond coma dans une chambre d’hôpital… et découvre un monde peuplé de zombies. Il se met aussitôt à la recherche de sa femme et de son fils, persuadé qu’ils sont encore vivants et ont réussi à fuir.
Tout l’intérêt de la série, on le comprend très vite, n’est pas dans ce début sauvagement plagié sur Vingt-huit jours plus tard, le film de Danny Boyle, mais sur ce qui suit ce bref incipit. En créant son comic, Charlie Adlard avait pour but de suivre un groupe de survivants confronté à cette récente apocalypse, et aux mécanismes psychologiques nécessaires à cette survie, dans un monde radicalement bouleversé où l’on n’est plus sûr de rien. Les héros de Walking Dead constituent la génération « 0 » d’une ère nouvelle, et se détachent à chaque aventure un peu plus des anciens modèles de leur défunte civilisation, des valeurs humanistes qu’ils avaient jadis toujours jugées immuables, dans le seul but de prolonger leur existence précaire face à ce terrifiant ennemi.
Dans la bande dessinée créée par Charlie Adlard et Robert Kirkman (14 volumes disponibles en France à ce jour, le 15e étant prévu pour le mois prochain), le principe fonctionne, et donne lieu à de belles surprises scénaristiques et de fort intéressantes interrogations sur la condition humaine. A condition de survivre au premier tome, d’une agaçante banalité, on peut vite devenir accro aux pérégrinations de cette compagnie à géométrie variable (mieux vaut ne pas trop s’attacher aux personnages…), à la recherche désespérée d’un lieu où elle pourrait enfin faire souche, se protéger des « rôdeurs », et planter les graines d’une autre société. Ce noble projet, inévitablement mis en déroute à maintes reprises, non seulement par les mort-vivants mais aussi par d’autres groupes humains pas toujours amicaux, justifie-t-il l’abandon de toute moralité ? S’ils atteignent leur but, leur restera-t-il seulement quelque chose à reconstruire ? Toute l’intrigue repose sur ces quelques questions. Monologues existentiels sur graphismes horrifiques mis en valeur par le noir et blanc, situations cornéliennes et scènes d’actions haletantes, voilà le cocktail qui a emporté l’adhésion d’une foule de lecteurs, aux Etats-Unis comme en France.
Il était donc logique de voir bientôt apparaître sur nos petits écrans une série adaptée du comic, et j’avoue avoir ressenti, comme de nombreux autres fans, une certaine impatience à l’idée d’en découvrir les premières images. Développé en 2009, initialement pour la chaîne NBC, le projet est finalement adopté par AMCTV, chaîne câblée américaine créée en 1984 et productrice des excellents Mad Men et Breaking Bad. Charlie Adlard reste aux commandes du scénario et s’associe avec Frank Darabont, réalisateur des Evadés et de La Ligne verte. Après un suspense longuement entretenu, la production révèle l’identité de l’acteur qui jouera Rick Grimes : il s’agit d’Andrew Lincoln, un acteur assez peu connu du public français (en dehors de son rôle dans L’Arnacoeur). Le reste de la distribution colle plutôt bien aux personnages papier, et les premières photographies de tournage sont à couper le souffle : zombies ultra-réalistes, univers en déréliction, cadavres pourrissant au soleil, les amateurs du genre se frottent les mains.
Les premiers épisodes (diffusés en 2009 aux Etats-Unis, en 2010 pour la France) sont rien moins que prometteurs : la mise en couleur d’un univers à l’origine en noir et blanc participe à la grande réussite des effets spéciaux. L’introduction est assez fidèle à la création d’Adlard et Kirkman (certains acteurs affichent une ressemblance confondante avec les personnages de la bande-dessinée). Ce n’est pas forcément un gage de qualité, mais en l’occurrence, le choix s’avère efficace et emporte l’adhésion des fans du comic. Et la mienne, par la même occasion.
Malheureusement, à partir de la fin de la première saison, mon enthousiasme va se muer très vite en perplexité. Que les scénaristes prennent de plus en plus de liberté avec l’œuvre originale n’est pas critiquable : le seul fait de changer de support (du papier à l’écran) nécessite de nombreux aménagements dans la narration, et l’adaptation d’une œuvre préexistante doit être considérée comme une création nouvelle et indépendante.
Dans le cas qui nous occupe, il y a d’ailleurs une volonté délibérée de la part des créateurs de la série de conserver les mécanismes les plus essentiels de la version dessinée : les libertés prises dans ce cadre ne le sont que pour mieux exprimer ce qui était originellement au cœur de la BD. Ainsi le personnage de Shane, meilleur ami du héros et élément perturbateur dans le couple que Rick Grimes forme avec Lori, son épouse, est-il ici emblématique de la confrontation de tout un système de valeurs (d’autant plus manichéen que Shane faisait partie des forces de l’ordre) à la nouvelle donne d’un monde aujourd’hui sauvage et impitoyable. Les changements qui s’opèrent dans la psychologie du personnage, pour radicaux qu’ils soient, ne manquent pas d’intérêt. Le seul problème réside en l’occurrence dans le fait que ces bouleversements concernaient, dans l’œuvre originale, non seulement le personnage principal, mais également son fils. Shane est en effet assassiné par le fils de Rick à la fin du second tome : il est la cause d’un traumatisme fondateur dans le fonctionnement du couple père-fils, dont les conséquences ne cesseront de se multiplier au cours des tomes suivants. Dans la série télévisée, il n’en est évidemment pas question, puisque le personnage de Shane est conservé. C’est en lui que se livrent les batailles les plus obscures, et sur ses épaules repose la responsabilité des décisions les plus cruelles, les plus éloignées de toute réflexion humaniste, prises cependant dans l’intérêt du groupe, au-delà de toute autre considération.
Que soient transposés sur un personnage secondaire des errances et des questionnements attribués au départ au rôle-titre ne serait pas si dérangeant s’il ne s’agissait pas là d’une étrange entreprise de béatification du héros : Rick Grimes est gentil, courageux, généreux, responsable, à la fois réfléchi et passionné. C’était également le cas dans la bande dessinée, mais toute la vertu du comic était justement de déconstruire, brique après brique, cette image idéale du héros américain. Sur le petit écran, rien ne vient contredire l’idée que nous nous faisons de Rick : un homme parfait, luttant pour conserver son humanité.
Dans la série télévisée, Shane est filmé de telle sorte que nous apparaisse à de maintes reprises le combat intérieur qui l’anime, puis la victoire progressive de ses côtés les plus sombres : au cours de la seconde saison (du moins ce que nous avons pu en voir en France), tout est fait pour nous montrer que Shane, dévoré par la jalousie et abandonnant les unes après les autres ses nobles visions, est en passe de devenir l’un des « méchants » de la série. Il apparaît comme le cygne noir du héros, celui-ci étant en conséquence exempté de tout paradoxe. Un choix radical, peut-être opéré pour le bien de la narration, mais qui enlève toute subtilité aux personnages les plus importants de la série (dessinée ou filmée) : le héros et son fils.
Quelles intrigues sont alors encore accessibles à ces deux personnages ? Les plus mélodramatiques, hélas… Carl blessé gît interminablement sur son lit de souffrance, Rick n’en finit pas de réconforter sa pauvre épouse constamment au bord de la crise nerfs, va et vient entre les différents personnages comme un politicien en campagne, tente vainement de ramener Shane à de meilleurs sentiments, pleure, prie, interroge Dieu, mais reste, en toute chose parfaitement irréprochable… devenant ainsi l’un des personnages les plus ennuyeux et agaçants de la série (la palme revenant à Lori, sa femme, deuxième plus grande consommatrice de Kleenex après les Etats-Unis). Tandis qu’à l’abri des regards indiscrets, Shane le démoniaque apprend le Necronomicon en se gravant des pentacles à même la peau… j’exagère à peine !
On pourrait également regretter l’absence de deux personnages qui illustraient, dans la bande dessinée, le thème essentiel de la fin de l’innocence : les jumeaux Ben et Billy, deux garçons orphelins que Dale et Andrea prennent sous leur aile. Que leur terrifiante histoire ne soit pas représentée dans la version télévisée démontre encore une volonté de distinguer soigneusement le bien du mal, dans un monde où une telle dichotomie perd très vite tout son sens…
Les créateurs de la série ayant décidé d’exploiter au maximum la moindre situation, le déroulement de l’action est très, trrrrrèèèès lent, insupportablement lent… Les deux premières saisons couvrent à peine les trois ou quatre premiers tomes de la version comic. A croire que les producteurs économisent cent après cent de quoi payer les prochains décors… en attendant, nos héros moisissent chez Hershel, le fermier bigot. Lori pleure et Shane crache dans la poussière pour montrer (fort subtilement) qu’il n’est plus le chic type qu’il était, et le téléspectateur s’endort, rêve d’une bonne vieille attaque de rôdeurs pour secouer tout ça… en vain. Une fois les premiers épisodes de la seconde saison passés, non seulement il ne se passe plus rien, mais on n’espère plus rien, tout comme les personnages qui s’encroûtent paisiblement : quelques promenades dans la campagne environnante, pour retrouver –sait-on jamais ? – la pauvre petite Sophia perdue depuis des jours… mais puisque même sa mère préfère se la couler douce sous sa tente… une ou deux excursions dans le bourg voisin (Lori n’a plus de mouchoirs), une amusante opération d’extraction d’un mort-vivant hors d’un puit… la routine, quoi !
Les créateurs promettent un peu plus d’action dans la seconde partie de la saison. Espérons qu’il ne s’agisse pas d’un vœu pieux…
La fin de la seconde saison confirmera, ou pas, mes craintes ci-dessus exposées. Je resterai téléspectatrice, en bonne amatrice du genre, et aussi à cause des qualités indéniables de cette fiction : effets spéciaux époustouflants, très bons personnages secondaires… Je conserve également l’espoir de voir apparaître sur l’écran certains des plus angoissants épisodes lus dans la bande dessinée, convaincue qu’une bonne réalisation, et de judicieux choix narratifs, pourraient y apporter un nouvel éclairage. Wait and see…

L’Héritage Dickens, Louis Bayard


Tiny Tim et Tim Cratchit sont sur un bateau…

Après Un Œil bleu pâle et La Tour noire, Louis Bayard revient avec un roman nouvellement (et fort habilement) traduit pour son public français. L’Héritage Dickens nous propose cette fois un voyage dans le Londres brumeux et inquiétant de 1860, un Londres aux facettes multiples, de la crasse misère de l’East End aux beaux quartiers de la gentry…
Le héros, Timothy Cratchit, qui inspira le Tiny Tim de Dickens dans son Conte de noël, n’est plus l’enfant chétif qui sut jadis attendrir ce vieil acariâtre de Scrooge. Hébergé dans un bordel par une maquerelle à qui il enseigne la lecture, le jeune homme, éternellement sans le sou, écume la tamise à la recherche de cadavres dont il pourrait tirer récompense. Ce n’est pourtant pas un mauvais garçon : poursuivi par le fantôme d’un père adoré, récemment décédé, à qui il adresse de touchantes missives, Tim est aussi un frère affectueux que les épreuves de l’existence n’ont pas tant endurci. C’est pourquoi, lorsque le bateau du capitaine Gully prend dans ses filets le corps inanimé d’une petite fille, il décide de suivre la piste d’une autre fillette miséreuse croisée au hasard de ses pérégrinations dans les docks de la cité. Il recevra dans cette tâche le soutien inattendu d’un gosse surnommé « Colin le mélodieux » qui parvient à retrouver pour lui la jeune Philomela, orpheline italienne au destin tragique. En cherchant à la protéger, Tim va se retrouver mêlé à une sombre histoire de trafic de jeunes filles dans laquelle les individus les plus dangereux ne sont pas ceux auxquels on s’attendrait.


Nouveaux défis, nouvelle réussite

Voilà pour l’histoire : une fois de plus, Bayard nous plonge dans un passé scrupuleusement reconstitué, fourmillant de détails et d’anecdotes, et crée pour ses lecteurs un tableau parfaitement équilibré entre ambiance romanesque, action fracassante et réalisme du décor. On retrouve avec bonheur ce style inimitable qui rappelle Mark Twain, mais aussi Dickens et Wilkie Collins, où l’humour vient souvent soutenir une narration quasi-cinématographique. A chaque roman Bayard parvient à créer, non sans brio, une coloration propre à l’époque et au lieu particuliers de son récit : le Londres de 1860 n’est pas le Washington de 1830. Les personnages qu’il crée dans cette nouvelle œuvre soutiennent amplement la comparaison avec ses héros précédents. On s’attache diablement à ce Tim Cratchit plein de nuances et de contradictions, qui cherche tant bien que mal à se séparer de son ancienne image de bambin maladif, mais ne cesse d’y revenir. On tremble pour la jeune Philomela, douce petite créature à l’enfance écorchée, talentueuse, intelligente et incroyablement courageuse. On est suspendu aux lèvres du vieux Gully, marin cynique et pourtant plein de tendresse, et l’on s’étonne, enfin, devant le portrait de ce Scrooge si pragmatique qui mène ses bonnes œuvres comme il dirigerait une usine, plein d’inquiétude pourtant envers sa pupille qu’il continue à entretenir de loin en loin. Jamais Bayard ne tombe dans la caricature : au contraire, à l’instar de son jeune Edgar Poe, il détourne prodigieusement les vieux poncifs attachés comme un boulet aux figures qu’il a l’audace de mettre en scène.
L’intrigue en elle-même est passionnante, angoissante, riche en émotions. Il n’est pas si fréquent de ressentir une haine aussi absolue que celle qu’on peut éprouver à lire les ignominies de ce lord dépravé et son lieutenant méphitique. Les scènes de course-poursuite sont, au sens propre, haletantes, le suspense, diaboliquement entretenu. On se sent, tout au long du roman, comme accroché par le bout des ongles au bord de l’une de ces corniches sculptées qui ornent les étages des maisons aristocratiques londoniennes. Du point de vue de la technique, c’est irréprochable.
On pourrait certes regretter une relative faiblesse dans le dénouement du mystère, mais seulement en comparaison avec les ouvrages précédents, à la résolution plus complexe. La conclusion finale, quant à elle, est poignante, et rappelle d’une certaine façon la fin magistrale de Martin Eden.


Une chair tâchée d’encre

Un dénouement sans réelle surprise, c’est un fait entendu, mais le cœur du roman n’est pas là. Autour de l’intrigue principale se pose une problématique essentielle de la création littéraire. Ainsi, l’utilisation d’un personnage imaginaire « concrétisé » dans un nouvel espace virtuel défini, entre autres, par son réalisme historique. La grande réussite de l’ouvrage est de donner l’illusion que le héros, doublement fictif puisque précédemment créé par un autre écrivain, paraît d’autant plus réel dans ce nouveau contexte dramatique. L’effet est renforcé par l’idée que Timothy Cratchit a grandi, évolué, et souhaite s’émanciper des attributs dont l’a affublé dans sa première apparition, comme un acteur qui hanterait les studios depuis sa plus tendre enfance et que son public aurait vu grandir, et qui rêverait de rôles enfin adultes. L’auteur s’efforce de combler le vide (tout aussi fictif !) existant entre l’œuvre de Dickens et la sienne en narrant les divers épisodes qui ont marqué cet espace temporel. Le procédé est habile et parfaitement efficace.
Tiny Tim et Timothy sont-ils deux entités distinctes, indépendantes l’une de l’autre puisque issues de l’imagination de deux romanciers ayant écrit à plus presque deux siècles d’intervalle, ou bien Louis Bayard n’a-t-il fait qu’adopter le personnage de son illustre prédécesseur pour servir d’autres fins ? De prime abord, il n’y a pas grand-chose de commun entre le malheureux garçon du conte, misérable et fragile, et ce jeune homme responsable et plein d’énergie hissé au rang de défenseur des opprimés. Tout le talent de Bayard est de brouiller les cartes de l’invention, et de parvenir à dépasser les limites artificiellement posées par les œuvres dont son personnage est issu.  


La délicate question du père

            Le personnage du père fantôme exerçant par-delà la mort une influence sur son fils n’est pas vraiment une idée neuve : les plus fameux auteurs de la Grèce antique se sont prêtés au jeu, sans parler de William Shakespeare, Molière, ou encore, plus récemment, Daniel Pennac… Quoique le principe, ici, soit un peu différent : jamais on n’entend la vision de Timothy parler à son enfant. Il est une image flottant dans les rues de la ville qui paraissent représenter ainsi, métaphoriquement, les méandres dont se compose la mémoire humaine. Les lettres rédigées par Timothy sont un instrument narratif à la double utilité : présenter l’homme affable et fantasque qui fut son père, et combler les vides de l’existence de Tim depuis son adoption par « l’oncle N » (Scrooge), autre figure paternelle du récit, à la fin du conte dickensien.
            Ces missives ont l’effet bienheureux d’un souffle léger sur une joue brûlante. Entre deux scènes d’enquête parfois éprouvantes (pour le lecteur comme pour les courageux personnages), elles sont une respiration, un repos nécessaire qu’on ne nous accorde pas toujours dans de tels ouvrages. On peut appeler cela une longueur, si l’on veut.
            Et puis, encore une fois, Bayard installe une de ces mises en abîmes dans lesquelles on a tant de plaisir à s’engouffrer : le père de Tim, à l’époque où ce dernier est encore la victime d’un handicap qui manque l’emporter dans la tombe, n’a de cesse de réinventer son propre fils, créant une fiction par-dessus la fiction. Il lui attribue des paroles incroyablement dignes, héroïques et pures (telles qu’il en prononce réellement dans l’œuvre de Dickens, ce qui renforce encore le rôle paternel que joue l’écrivain). Des paroles que les adultes ont pour habitude de mettre dans la bouche des bambins, pour combler peut-être le grand silence qui peut régner parfois sur l’enfance (que j’aurais aimé, parfois, avoir la verve de ces jeunes personnages qui, au cinéma, dans les livres, dans les séries télévisées, résument tout en un seul verbe tendre !). Cette étrange pratique révèle-t-elle une déception, le désir caché d’engendrer un fils plus proche de ses attentes ? Non, il faut plutôt y voir la lutte d’un père contre la maladie de son garçon, avec les seules armes de l’imagination. Une façon de se rassurer un peu tout en rassurant les autres. Idée incroyablement subtile et émouvante, qui contribue à placer le Père, qu’il soit fictif, réel, ou de littérature, au centre de cette œuvre bien plus complexe qu’elle ne paraît à la première lecture.

            Qu’un roman puisse réunir à la fois vérité historique, ressorts romanesques, chausse-trappes du récit de mystère, subtilités stylistiques et psychologiques, et intelligence des méandres de la création littéraire n’est pas chose si courante. Il convient de le noter, puis d’en profiter.

Gros plan sur... Louis Bayard

Pour commencer le portrait de l'un de mes auteurs favoris du moment, permettez moi de vous raconter une petite anecdote :       
A la fin du mois de mars 2011, enceinte jusqu’aux oreilles de mes deux premiers enfants (oui, deux…), je me rends avec mon compagnon à la maternité de Saint-Cloud pour déclencher l’accouchement. Je ne le sais pas encore, mais la procédure va durer plus de quarante-huit heures, durant lesquelles il m’est impossible de dormir, contractions obligent… Plein de sollicitude, mon fiancé s’empresse de me procurer, dès les premières heures, le nombre de livres susceptible d’assurer ma survie jusqu’à la délivrance. Je n’ose pas le lui dire, mais pour la première fois de mon existence, sans doute, la seule idée de parcourir ne serait-ce qu’une page d’écriture m’est insupportable. Je n’ai qu’une seule envie : me concentrer sur la bataille intérieure qui se déroule alors (confiée à des soldats très indociles, qui n’ont aucun désir de quitter le campement de base…) pour en finir au plus vite et rapatrier les troupes. Je fais cependant l’effort de lire les quatrièmes de couverture. L’une d’entre elle pique particulièrement ma curiosité, et dans un moment d’accalmie, je décide, un peu malgré moi, de lire quelques lignes du roman.
Bref, l’accouchement se passe (très bien, oui, je vous remercie…), et l’on me conduit dans l’une de ces chambres pour nouvelle parturiente où je vais résider une semaine. Comme il m’est impossible de dormir plus de vingt minutes d’affilée avec deux nourrissons extrêmement vivaces et affamés, je profite des quelques instants de repos qui me sont accordés pour jeter un œil, de loin en loin, sur cette histoire qui me reste, par la force des choses, inaccessible.
Ma revanche viendra après notre retour à la maison : Le livre ne me quitte plus, je l’ouvre à la première occasion, entre quatre couches et huit biberons… Enferrée ! Capturée par l’intrigue, d’autant plus bouleversée par le moindre événement qui se déroule sous mes yeux qu’un rien me fait fondre en larmes (il suffit, comme dirait Pennac, que l’un de mes tout-petits se coince le doigt entre deux oreillers…). Bluffée, jusqu’au bout…
Ce roman, c’était La Tour noire, de Louis Bayard. A peine la dernière ligne achevée, je me procure Un Œil bleu pâle, puis, L’Héritage Dickens, juste après mon déménagement au Puy. Irrésistiblement, la lecture de chacun de ses ouvrages me ramène aux circonstances qui me l’ont fait découvrir… Comme quoi, un livre, ce n’est pas seulement un livre.

Ceci étant dit, quid de Louis Bayard ? Les éléments biographiques sont rares, et n’abordent la plupart du temps que son travail d’écrivain et de journaliste, les récompenses décernées, le chiffre des ventes et les projets. L’efficacité à l’américaine… Ce que l’on sait de prime abord tient en peu de lignes:
Louis Bayard est né en 1963 à Albuquerque, Nouveau Mexique. Après des études de littérature et de journalisme à l’université de Northwestern, Louis Bayard devient le contributeur régulier de journaux illustres tels que le Washington Post, le New York Times ou le Los Angeles Times. Critique littéraire et essayiste de talent, il couvre toutes sortes de sujets, qu’ils concernent le fonctionnement de la société américaine, les hommes politiques qui la gouvernent, ou bien la parution de nouveaux romans, et participe à trois anthologies : Maybe Baby, The Worst Noël, et 101 Damnations. On peut d’ores et déjà y goûter son humour et un certain penchant pour l’autodérision. Comme beaucoup d’auteurs américains conscients d’exercer une véritable profession, avec tout le savoir-faire qu'elle peut requérir, il s’adonne également aux joies de l’enseignement à l’université George Washington en tant que professeur d’écriture créative.
En juin 1999, il publie chez Alyson Books le roman Fool’s Errand, comédie romantique aux multiples rebondissements se déroulant dans la communauté gay de Washington D.C. Son second roman, Endangered Species (Alyson Books, 2001), raconte la quête désespérée d’un homosexuel pour offrir un descendant à sa famille. Ces deux récits (non encore traduits pour le public français à ce jour) se déroulent dans une Amérique contemporaine. Le génie de Bayard pour la reconstitution historique ne sera révélé qu’avec son premier thriller.
Mr Timothy (L’Héritage Dickens) paraît en octobre 2004 chez Harper & Collins. Un autre article de ce blog parle longuement de l’œuvre en elle-même, aussi ne m’y attarderai-je pas. Le livre ne paraîtra en France qu’en septembre 2011, après Un Œil bleu pâle et La Tour noire, publiés par le Cherche-Midi éditeur à partir de 2007. Après sa parution aux Etats-Unis, Mr Timothy entrera dans la liste du New York Times des "notable books".
The Pale Blue Eye (Un Œil bleu pâle) est publié en 2006 aux Etats-Unis (août 2007 pour la France, qui, cette fois, n’a pas raté le coche), et sera nominé pour l’obtention de deux récompenses : le « Edgar Award », et le « Dagger Award ». Le roman nous fait cette fois entrer dans les coulisses de la glorieuse West Point Academy, frappée par une série de meurtres commis sur des élèves-officiers en 1830. L’enquête est menée par Gus Landor, un ancien inspecteur de la police criminelle de New York dont les mérites ont éveillé l’intérêt des hauts gradés de l’école, et qui recrute sur place un jeune et talentueux acolyte : Edgar Allan Poe. L’illustre écrivain fut en effet un pensionnaire de l’académie, de juin 1830, quand il y fut accepté en raison de ses brillants états de service à l’armée et d’une lettre de son père adoptif, John Allan, jusqu’en mars 1831, après s’être fait volontairement renvoyer de l’école par dégoût pour la discipline militaire. Nombre de lecteurs et de critiques s’extasient sur le rebondissement final, mais admirent aussi l’ambiance créée, et le détournement habile du célèbre écrivain en personnage de fiction. Dans un cadre historique aussi impeccable que celui de L’Héritage Dickens, Bayard, après avoir dévié les mécanismes de la fiction en redonnant naissance à un personnage imaginaire créé cent cinquante ans avant lui, dresse un nouveau costume autour d’un patron jadis bien vivant. Aux Etats-Unis, une fois de plus, journalistes et public sont emballés, et le roman sera le premier à faire découvrir Bayard à l’hexagone.
Avant-dernier livre en date, The Black Tower (La Tour noire), sorti aux USA en août 2008 en édition princeps (ed. William Morrow) et en mai 2010 au Cherche-Midi, explore une nouvelle dimension du thriller historique en introduisant les enjeux politiques de la Restauration. Son personnage « vedette », tout aussi réel que Poe, n’en est pas moins entré dans la légende des détectives made in France, et inspirera de nombreux personnages fictifs dont, selon la rumeur, le Sherlock Holmes de Conan Doyle. Il s’agit du très romanesque François Vidocq, ancien bagnard, entré à la Brigade de sûreté après avoir fait ses armes en tant qu’indicateur de la police, grand modernisateur du système d’enquête criminelle, à l’instar de Clémenceau avec ses « Brigades du tigre ». Il fut également le premier fondateur historique d’une agence de détectives privés (dix-sept ans avant la création de la célèbre Pinkerton National Detective Agency), l’inventeur du papier infalsifiable, et le défenseur de l’utilisation des empreintes digitales. Dans l’œuvre de Bayard, il apparaît comme un géant aux mille ruses, gouailleur, plutôt rustre, mais d’une incroyable finesse de raisonnement, comme il en fit sans doute réellement la démonstration à ses contemporains. Son compagnon, le temps de l’enquête, est un jeune étudiant en médecine, fils du docteur de l’infortuné Louis XVII qui se trouve placé ici au cœur de l’intrigue. En France, le succès n’était pas assuré : on connaît trop bien la vision que peuvent avoir certains auteurs américains du Paris de « jadis », qu’ils transforment immanquablement en une carte postale "couleur sépia" truffée de caricatures. Mais Bayard n’est pas tout à fait un étranger chez nous : ses ancêtres huguenots ont fui la France et la répression religieuse au XVIIe siècle, puis se sont installés à New York où ils ont fait partie des premiers maires de la ville. L’auteur n’est pas de ceux qui désavouent leurs origines : il admet être un grand amateur de Paris, où il se rend régulièrement, et parle par ailleurs un français tout à fait correct. C’est ainsi qu’il est parvenu à retranscrire avec une formidable fidélité la capitale française en proie aux grands troubles liés à la Restauration et ses meneurs, qui ne souhaitent rien tant que d’effacer la moindre trace d’une quelconque révolution. Son évocation de la Terreur est tout aussi frappante, et contribue à la noirceur de son œuvre. Le lectorat français ne s’y est d’ailleurs pas trompé.
Son ouvrage le plus récent, The School of Night (Holt, Henry & Company inc., mars 2011), n’a pas encore été traduit en France et ne semble pas faire partie des prochaines publications du Cherche-Midi. Nous savons d’ores et déjà que l’intrigue se partage entre le Washington d’aujourd’hui et le royaume d’Angleterre sous le règne de Jacques 1er, fondateur de la dynastie des Stuart et fils d’Elisabeth 1ère. Une histoire toute aussi sombre que ses précédents romans : Henry Cavendish, un érudit spécialiste de la période élisabéthaine déshonoré par une grave erreur d’expertise, est abordé par Bernard Styles, un collectionneur d’antiquités de triste réputation qui accuse le meilleur ami de Henry de lui avoir dérobé une lettre très précieuse datant du XVIIe siècle. Il se trouve que l’ami d’Henry vient de se suicider… Henry se lance alors dans la résolution d’un mystère dont les origines remontent à la fameuse School of Night (nommée à l'époque School of Atheism), ce cercle d’érudits dont faisait partie entre autres Sir Walter Raleigh, Christopher Marlowe, mais aussi le scientifique injustement méconnu Thomas Harriot qui mesura la gravité terrestre soixante ans avant Newton et découvrit la comète qui sera baptisée, un siècle plus tard, « Halley ». La vocation de ce cercle était de discuter, dans le plus grand secret, de l’existence de Dieu, d’astronomie, de politique et des arts obscurs… une entreprise périlleuse quand on sait que les malheureux qui étaient surpris en train de tenir des propos "athéistes" étaient immédiatement accusés de haute trahison, crime passible de la peine de mort.
Aucune date de sortie prévue en France pour l’instant, mais on peut raisonnablement espérer voir apparaître l’ouvrage dans les rayons des librairies cette année, peut-être au cours de la pré-rentrée littéraire.
Il semblerait que Louis Bayard soit actuellement en train d’écrire un nouveau roman, pour lequel il avait demandé quelques conseils à ses lecteurs par l’intermédiaire de son blogue. En effet, harcelé par son éditeur, il ne parvenait pas à trouver un bon sujet pour sa nouvelle intrigue. Ses fans l’ont arrosé de mails qui révélaient, d’après Bayard, leur érudition et leur curiosité intellectuelle : leur simple lecture a fait germer l’idée qui lui manquait, sans avoir à retenir aucune de leur proposition… Pour les remercier de leurs efforts, il a cependant promis de leur rendre hommage dans son prochain récit en nommant l’un de ses personnages… Reader !
Nous n’avons donc pas fini, et c’est heureux, d’entendre parler de Louis Bayard. Vous pouvez compter sur moi pour vous tenir au courant de son actualité des prochains mois, mais si vous souhaitez faire le travail vous-mêmes, voici l’adresse du site internet de l’auteur :
http://www.louisbayard.com
Vous y trouverez toutes les informations officielles concernant Bayard, les présentations et critiques de ses romans par les journaux américains, des liens vers ses interviews, mais aussi vers les articles qu’il a lui-même rédigés, et enfin, son blog (ce n’est pas un contributeur des plus réguliers, mais ces petits mots sont toujours des plus agréables).
Louis Bayard possède également un compte Facebook et un compte Twitter, accessibles depuis son site.

American Stories, Ils vont changer l'Amérique, Louise Couvelaire




C’est un pays frappé de plein fouet par la crise qui s’apprête à élire son nouveau président. Une crise qui pourrait bien remettre en cause la fameuse exception américaine, et qui a touché l'un des éléments les plus essentiels du rêve américain : les classes moyennes. Beaucoup d’anciens admirateurs d’Obama admettent avoir revu leur copie : ses talents de diplomate, qui l’ont encouragé à de trop nombreux compromis, ont éloigné de lui son électorat démocrate. Trop proche des Républicains, Obama ? Pas assez marqué à gauche ? Avec sa réforme du système de santé (jugée trop molle par de nombreux démocrates), il a pourtant réalisé un exploit là où tous ses prédécesseurs ont échoué. Nettement insuffisant, si l'on en croit ses admirateurs déçus.

Ceci dit, la scène politique ne reflète pas toujours les opinions de la rue. Sous la lumière des caméras, politiciens et hommes d’Etat semblent vouloir effectuer un retour à au radicalisme : la gauche est de plus en plus à gauche, la droite, de plus en plus extrémiste. Une image que vient pourtant contredire le nouveau livre de Louise Couvelaire, avec ses portraits de jeunes Américains pas si idéalistes, et parfois indifférents aux actions de grande échelle, jugées peut-être inutiles parce qu’ils ne peuvent avoir aucune influence sur elles. Car l’important pour eux, c’est d’agir, coûte que coûte. Ils ont parié sur l’économie verte ou la politique locale, ils ont révolutionné les anciens cadres du journalisme ou de la haute-finance, ils défendent le non profit (le "non lucratif") ou rejettent les diktats de ceux qui les gouvernent. Ils peuvent être guidés par leur vocation ou s’inventer, au petit bonheur la chance, de nouvelles sources d’enthousiasme... et de bénéfices (sociaux ou financiers). Quoi qu’il en soit, ils lancent un mouvement qu’ils espèrent perpétuel, et surtout exponentiel. L’Amérique ne s’est pas construite sur de vains bavardages, ils le savent et en sont fiers.
A l’image d’Hannah Giles, jeune étudiante indécise qui a changé quatre fois de cursus, et trois fois d’université, avant de se rendre enfin à Washington, la mort dans l’âme, pour y suivre des cours de journalisme qui, déjà, n’éveillent plus son intérêt. Enfant, Hannah se rêvait en justicière ou en espionne pour la CIA : aujourd’hui, elle n’a plus la moindre idée de ce qu’elle veut devenir. Une seule idée l’obsède, se laisser guider par cette formidable énergie qui l’anime : contre qui, ou quoi ? Elle l’ignore. Fille d’une enseignante et d’un pasteur, élevée dans le climat sécuritariste et christo-républicain entretenu par un patriarche aux allures de caporal-chef, elle tient pourtant à se distinguer. Ni de droite, ni de gauche, elle croit dur comme fer aux vertus du libertarisme, ce mouvement typiquement américain qui vise à rejeter toute forme de contrôle gouvernemental. Hannah est une jeune fille intelligente, instruite, curieuse et volontaire : c’est pourtant sans la moindre réflexion préalable qu’elle va s’attaquer à l’une des associations démocrates les plus puissantes du pays, ACCORN, déjà épinglée dans diverses affaires sans que la forteresse n'en soit en rien ébranlée. Avec l’aide d’un garçon rencontré sur Facebook, armée d’une caméra miniature et d’un solide bagout, elle va monter un scénario digne des meilleurs polars : déguisée en prostituée, elle essaiera d’obtenir, pour le compte d'un prétendu fiancé-homme politique (son complice), les crédits qui lui permettront d’ouvrir une maison close déguisée qu’elle entend faire tourner avec de jeunes immigrées illégales sud-américaines. L’argent remporté financera la campagne de son cher et tendre. Un canular qui pourrait sembler bien grossier, tant la femme qu'elle interprète fait preuve de cynisme et de cruauté : pourtant, toutes les personnes rencontrées dans les bureaux ACCORN des différentes villes qu'ils visiteront n’hésiteront pas à donner leurs conseils, proposer des solutions financières, et même, faire fonctionner leur réseau pour rendre le projet possible. Les vidéos successives, postées sur Internet, provoqueront un scandale qui ruinera ACCORN définitivement. Hannah n’avait pas la moindre idée de ce qui motivait son geste, pourtant héroïque par les temps qui courent. Elle n’avait que vaguement entendu parler des malversations de l’organisme avant de s’y attaquer. Son travail de documentation ne viendra qu’après avoir pris sa décision, ferme et irrévocable.
Et que dire de Justin, ce jeune homme d'affaires, teenager dans l’âme, un peu irréfléchi et insouciant, qui va ériger un véritable empire médiatique par les voies les plus inattendues ? Un jour, Justin fixe une caméra sur sa tête et fonde Justin TV, qui diffuse sur internet toutes les images ainsi capturées : le moindre épisode de son existence. Constatant au final que sa vie n’a rien de passionnant pour les foules, il n’en développe pas moins son concept, étend son influence, jusqu’à ce que son entreprise devienne au final l’un des principaux médias par Internet, non pas du pays, mais du monde. Grâce à Justin TV et son incroyable réseau de participants, on peut obtenir des images là où personne d’autre ne peut aller filmer. Le projet aurait pu être celui d’un reporter idéaliste : c’est Justin qui l’a réalisé, sans la moindre idée de ce qu’il recherchait au départ, en dehors de l’argent et de la célébrité, deux choses qui restent chères au cœur de la majorité de ces nouveaux espoirs du rêve américain.
Sur ce point, Louise Couvelaire insiste : la caractéristique la plus souvent retrouvée dans ces success-stories décrites tout le long de son livre, c’est le solide pragmatisme de ses héros. Changer le monde, certes, qui ne le voudrait pas ? Participer au renouveau et à la gloire de leur pays, évidemment. Fonder une nouvelle éthique, qui permettra d’éviter qu’une autre crise ne soit provoquée par l’avidité de quelques traders irresponsables, magnifique. Mais n'oublions pas que l’argent que toutes ces initiatives peuvent remporter est un enjeu, et pas des moindres. Le développement des organismes « à but non lucratif » se fait ainsi selon un nouveau modèle, au sein duquel ses participants les plus actifs refusent de sacrifier tout confort financier. Laura travaille pour un grand cabinet d’avocats new-yorkais, et juge non seulement normal, mais aussi absolument indispensable que son temps de travail consacré aux affaires prises en charge de façon bénévole soit compté dans son temps de travail rémunéré. L’idée de travailler dans un organisme entièrement dévoué à défendre les plus pauvres dans les tribunaux, est rejetée d’office : on n’y gagne pas assez bien sa vie. D’ailleurs, à l’heure actuelle, le nombre d’heures consacrées à ce type de dossiers est un argument qualitatif pour la promotion des professionnels du droit américains : s’ils espèrent obtenir un jour un bon classement dans les magazines spécialisés, vitrines indispensables de leurs entreprises, ils doivent se plier à cette discipline. Travailler pour le plus grand bien, d’accord, mais pas pour des cacahuètes. Erin Brokovitch, cette femme courageuse, mère de trois enfants cumulant les petits boulots pour survivre, qui s'est battue, aux côtés de son employeur, pour les droits des victimes de la Pacific Gaz and Electricity Company, n'est pas seulement devenue un exemple d'idéalisme. C'est aussi un parfait symbole de réussite à l'américaine...

C’est un portrait souvent déconcertant de la nouvelle Amérique que nous dresse Louise Couvelaire. A la fois enthousiasmant et brutal, idéaliste et définitivement matérialiste, et qui nous démontre à quel point l’action prévaut toujours sur l’analyse pour ces descendants des pères fondateurs, perpétuant ce fameux esprit d’entreprenariat que nous autres, européens de la vieille école, avons tant de mal à appréhender. De son propre aveu, Louise Couvelaire, face à ce pays qu’elle connaît si bien et a exploré durant de nombreuses années, « oscille entre admiration et mépris », réaction typiquement française qu’elle ne peut, en toute honnêteté, désavouer complètement. Car les initiatives de cette jeunesse (« le lobby le plus puissant d’Amérique »), si elles ne sont pas exemptes de toute vision pour l’humanité future, sont révélatrices d’un état d’esprit définitivement individualiste, et d’une volonté de garder intactes, avant toute autre chose, l’indépendance et la prospérité qu’ils ont toujours connues.
Pour en savoir plus, le lien vers une interview de Louise Couvelaire, à l'occasion de la sortie de son livre, sur la radio France Culture :


Charly 9, Jean Teulé

Il n’y a pas de petits règnes : il n’y a que de petits rois. C’est le cas de Charles IX, entré dans la famille assez peu enviable des souverains les plus haïs par leur peuple après avoir ordonné le massacre de milliers de protestants pendant la Saint-Barthélémy. Les exigences du devoir… et aussi une certaine incapacité à résister aux volontés d’une marâtre cruelle et manipulatrice, Catherine de Médicis herself, qui aurait pu servir de modèle pour bon nombre de contes de fées présentant ce genre de femelles castratrices. Le pauvre Charles, face à une clique familiale digne des mafias les plus sanglantes, ne fait pas le poids : quelques mois après cette nuit d’horreur qui restera dans l’Histoire, il meurt misérablement, affaibli par ses crises de démence, et peut-être le remords… Décédé à l’âge de vingt-quatre ans, il aura cependant eu l’occasion d’affamer son peuple, puis de l’empoisonner (certes involontairement : qui aurait pu prévoir que cette bande de morfales confondrait brins de muguet et salade verte ?) tout en fabricant de la fausse monnaie pour renflouer le trésor royal désespérément vide. Pas si mal pour un blanc-bec qui a toujours vécu dans l’ombre de son frère, le cynique et glacial Henri III, insupportable chouchou de la Médicis !
Après Je, François Villon et Le Montespan, Jean Teulé revient avec son nouveau récit historique, pastiche hilarant et plein de verve dans lequel Charly 9 terrorise la cour en chassant le cerf dans les couloirs du Louvre, désespère Ronsard par son mépris pour l’alexandrin, trousse vigoureusement sa maîtresse et impose le pâté d’alouettes comme plat national. Entre chaque épisode de folie, son crime épouvantable revient le hanter et le précipite vers la mort, une mort qu’il appelle autant qu’il fuit, en jouet misérable d’un pouvoir politique qui le dépasse.


Salut à toi, Ionesco !

Soyons honnêtes : la lecture de Charly 9 ne nous apprend rien de plus, sur cette sombre période, que ce qu’on peut trouver dans tous les bons livres abordant le sujet. Si Jean Teulé est fanatique d’histoire, il ne se présente pas comme un chercheur, mais plutôt comme un trublion de talent qui n’hésite pas à semer le désordre dans les tableaux les plus figés. Ainsi, ceux qui auront gardé en tête les compositions esthétiques de Chéreau (La Reine Margot, 1994) risquent d’y perdre leur Dumas : dans cette nouvelle farce teuléenne, Marguerite de Valois est une adolescente gothique et rondouillarde (Isabelle Adjani, après une cure de loukoums), Henri de Navarre, un sympathique second rôle, et la figure romantique de La Môle, à peine un figurant. Ici, le personnage central, essentiel, véritable noyau autour duquel tourbillonne la comédie du pouvoir, c’est Charly, et personne d’autre. Personne ? Voir… Si le massacre de la Saint-Barthélémy n’est jamais décrit formellement dans le livre, il est le costume nauséabond (aussi embarrassant qu’une camisole) qui collera à la peau de Charles tout au long de sa brève existence. Seule et unique décision d’importance qu’il prendra jamais en tant que monarque, et qui fera, pour lui, rimer à jamais « pouvoir » avec « mort ». Face à ce crime immense, tout le reste devient une farce, enchevêtrement de plaisirs, d’obligations qui tournent au grotesque, de conversations inutiles… C’est comme si, en choisissant de sacrifier à la raison d’Etat ces milliers de vies protestantes, Charly 9 avait tout dit en une seule fois sur la fonction politique, la volonté souveraine, la philosophie du pouvoir.
Que lui reste-t-il alors ? Comment occupera-t-il les quelques mois qui sépareront le 24 août 1572 du jour de sa mort, survenue le 30 mai 1574 ? La vision de Jean Teulé est d’une radicale justesse : en une succession de tableaux tragi-comiques, il nous décrit un Charles IX situé quelque part entre Ubu Roi et ses héneaurmités, et le Bérenger 1er de Ionesco. Face au spectre de la mort (celle qu’il a causé, et celle qui le guette), Charly 9 se précipite dans une valse pathétique faite d’inutiles gesticulations, dansée par lui seul au milieu d’une cour de fantômes en devenir. Catherine de Médicis elle-même y perd de sa superbe, toute dévouée à la gloire d’une dynastie moribonde, sur le point de céder la place à l’illustre famille des Bourbons.
Avec Charly 9, Jean Teulé nous fait la talentueuse démonstration d’une Histoire génératrice de l’inutile, de l’absurde, de l’ubuesque. En bon héritier de Ionesco, Jarry ou Beckett, son récit est à la fois hilarant et désespéré, d’une tristesse qui ne peut que prêter à rire… Le surnom que Teulé utilise pour baptiser ce souverain aussi cruel que misérable nous ramène invariablement à l’universalité des terreurs dont il est la proie. Nous sommes tous des Charly 9.




Vacances hivernales



Il y a une quinzaine de jours, nous nous préparions (mon compagnon, nos deux enfants et moi) à partir en vacances dans le sud-ouest. Je ne quittais pas mon foyer sans appréhension : tenue éloignée de la plupart de nos moyens de communication modernes, il me serait sans doute impossible de poster le moindre article sur ce très jeune blogue. Aurais-je seulement le temps d’écrire la moindre ligne ? Ce silence soudain allait-il décourager mes premiers visiteurs, persuadés que le projet, faute de sérieux de la part de son créateur, était mort avant d’avoir un peu vécu ? Baste (comme on dit en Haute-Loire) ! A moi de prouver que ces pages sont bien vivantes, à peine mes valises rangées, je me remettrai au travail sans coup férir, avec de nouvelles idées, de nouveaux livres, une tripotée d’auteurs (méconnus ou non) à portraitiser, de la matière sous d’agréables formes, tenez bon, lecteurs ! Je reviendrai !
On excusera cette brusque poussée d’arrogance. J’ai bien conscience que Cartons Pleins ! (el blog) n’a pas encore gagné le titre de phare illuminant les ténèbres, loin s’en faut. Mais pour que le projet se poursuive, se développe et ait un jour la chance de ressembler un tant soit peu au mirage qui flotte dans ma caboche, il faut de l’ambition (et un peu d’humour…).
Bref. J’avais décidé de mettre ces deux semaines d’absence à profit en m’appliquant à lire certains auteurs que j’avais jusqu’ici, un peu hâtivement, relégués dans une sorte de purgatoire littéraire d’où je n’avais jamais été très impatiente de les en sortir. Jean-Christophe Grangé en faisait partie : après avoir lu l’un de ses best-sellers il y a environ deux ans, je l’ai directement envoyé dans un autre cercle des enfers où il cuit aujourd’hui tranquillement avec Mary Higgins Clark, Patricia Highsmith, Marc Lévy et Anna Gavalda (entre autres). La trilogie de Millenium, Laurent Gaudé et Delphine de Vigan continuent de flotter dans les eaux brumeuses du « je ne connais pas et n’ai pas envie de connaître ». La vie est une affaire de choix, et les bons bouquins sont déjà trop nombreux pour qu’on puisse tous les lire.
Pour quelques écrivains, cependant, j’ai toujours éprouvé un peu de remords. Chacune de mes razzias en librairies s’achèvent immanquablement par une petite pensée pour tous ceux, toutes celles, que je n’ai toujours pas choisis, non, pas cette fois, et dont on continuera à me parler sans qu’ils éveillent le moindre écho dans ma mémoire. Etrangement (j’entends déjà les hurlements d’effroi de certains), Maxime Chattam en faisait partie.
Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, Chattam est un auteur français élevé au bon grain américain, de longue date passionné par la psychologie criminelle (qu’il étudia fort consciencieusement), à tel point qu’il n’a pas résisté à nous faire profiter de son immense savoir en la matière en faisant publier quelques pavés de thrillers horrifiques qui ont rencontré un tel succès qu’on le décrit comme l’un des maîtres de la discipline. Soit. J’ai donc fait l’acquisition de La trilogie du mal, regroupant trois de ses œuvres les plus célèbres, et en ai commencé la lecture la veille de notre départ après avoir mis de côté bon nombre de mes a priori. Je ne ménagerai pas plus longtemps le suspense : j’ai tenu soixante pages. Soixante pages de souffrance, puisqu’il m’est apparu dès le premier paragraphe que M. Chattam, non content d’écrire avec les pieds, était un formidable créateur d’aphorismes arlequinesques, et de personnages tellement épatants, charismatiques et « beaux du dehors comme du dedans » qu’on était immédiatement pris du désir d’en adresser copie à Guillaume Musso pour inspirer son nouveau chef d’œuvre. Je serai bien incapable de vous raconter toute l’histoire élaborée par Chattam : peut-être était-elle excellente, certains critiques l’affirment. Il ne suffit pourtant pas de tenir une bonne intrigue pour en faire un bon roman, Bernard Werber et Pierre Bordage nous l’ont prouvé en de maintes reprises… (non, franchement… Le père de nos pères… vous plaisantez ?). Je suis pour ma part absolument incapable d’entrer dans une histoire, aussi passionnante fût-elle, si la qualité de son écriture n’est pas au moins équivalente. Il ne s’agit malheureusement pas d’une opinion tellement répandue, sinon certains écrivains de best-sellers ne seraient jamais sortis du caniveau…
Mon instinct m’avait tenu éloignée de Maxime Chattam pendant dix bonnes années : c’était un signe, j’aurais du y être plus attentive. Car la littérature est moins affaire de sentiment que d’intuition. Pas de pitié pour les auteurs ! Et pour les médiocres, pas de regret…
Après ma mésaventure Chattam, j’avais besoin d’un peu de réconfort : je l’ai trouvé avec l’excellent dernier manuscrit de Westlake, Mémoire Morte, dont je ne manquerai pas de vous parler dès que je l’aurai fini, ce qui n’est plus qu’une affaire de jours, à présent.

PS : je suis fermement décidée à ne plus établir de programme hebdomadaire. Je servirai dorénavant mes articles les uns après les autres, au rythme de mes lectures. Comme on dit dans les romans : « j’ai charge d’âme(s) ». Alors, patience !

Bonne année ?


Premier édito de ce blog nouveau-né, mais aussi premier édito de l'année... Faut-il céder à la coutume des voeux ? Vous souhaiter bonheur, santé, argent, amour, dans cet ordre ou dans un autre, avant même de vous connaître ? Car enfin, l'exercice est délicat : imaginons un instant qu'un jeune homme vienne se consoler ici (pourquoi pas ?) d'une rupture amoureuse... lui souhaiter l'amour, à celui-là... Et à l'ouvrier d'usine frappé par la crise, des stock-options ?
D'agréables lectures, alors ? Voilà qui colle à la thématique, et nous pourrions nous engouffrer : heureuses lectures à vous, mes amis, pluie de romans fameux, averse de merveilleuses nouvelles ! Gare... Vos goûts ne sont pas les miens, admettons-le une bonne fois. Or, la seule idée de souhaiter joyeuse lecture à un amateur de Marc Lévy me fait frissonner. Prions pour que Katherine Pancol sorte un nouveau chef-d'oeuvre ! Pour que Sollers nous illumine de son génie ! Pour que Marie-Sabine Roger nous concocte un autre couple improbable (un jeune footballeur et une vieille poétesse, un psychotique et un trader, un bocal de cornichons et une ex-miss France, ce ne sont pas les exemples qui manquent...) ! Non, non, soyons sérieux. Mieux vaut ne rien dire, et n'en penser pas moins. D'autant que cette année qui commence passe pour être la dernière.
En voilà un sujet d'étonnement ! Qu'une bande d'illuminés squatte les médias pour nous annoncer l'apocalypse selon Quetzacoatl, et je me surprends à ruminer... Je suis pourtant quelqu'un de raisonnable, correctement renseignée sur les raisons qui poussèrent les Mayas à envisager l'année 2012 comme la dernière de ce monde. D'où vient cette crainte absurde, alors, et ce besoin de lorgner sur les catalogues des derniers fabricants de bunkers anti-communistes ? Se pourrait-il que les annonciateurs de tragédies, les corbeaux et autres oracles neurasthéniques aient plus de chances d'emporter notre adhésion qu'un paisible chercheur multi-diplômé, un politicien optimiste ou notre gaillarde voisine de paller ? Notre raison se révolte, certes : qu'est-ce que c'est encore que ces prédictions fantaisistes ? Si un météorite devait heurter la planète, nous le saurions depuis longtemps ! Le réchauffement climatique deviendra un jour cataclismique, mais lentement, progressivement, pffffiou... ça ne se produira sans doute pas de notre vivant ! L'extinction de l'espèce humaine ? Allons donc, intelligents comme nous le sommes ! N'avons-nous pas survécu aux mammouths, à la peste bubonique, à la grippe espagnole, au SIDA ? Et cette station Mir, qui devait nous dégringoler sur le râble ? Cette éclipse de 1999, portail ouvert sur des hordes de démons ? C'est pas bientôt fini, ce catastrophisme hollywoodien ? Il n'empêche. Le soir venu, on ne se couche pas si tranquille. C'est sans doute parce que notre raison faiblit, après toutes ces manoeuvres que nous l'avons obligée à faire...
C'est malin : je commence par les bons voeux, je termine par l'apocalypse. Allez, je vous souhaite quand même une chose, c'est d'avoir l'occasion, en 2012, de botter le cul de ceux qui ne croient pas en l'arrivée de 2013 ! Et faites passer le mot...
Et bonne année !