samedi 18 février 2012

Gros plan sur... Louis Bayard

Pour commencer le portrait de l'un de mes auteurs favoris du moment, permettez moi de vous raconter une petite anecdote :       
A la fin du mois de mars 2011, enceinte jusqu’aux oreilles de mes deux premiers enfants (oui, deux…), je me rends avec mon compagnon à la maternité de Saint-Cloud pour déclencher l’accouchement. Je ne le sais pas encore, mais la procédure va durer plus de quarante-huit heures, durant lesquelles il m’est impossible de dormir, contractions obligent… Plein de sollicitude, mon fiancé s’empresse de me procurer, dès les premières heures, le nombre de livres susceptible d’assurer ma survie jusqu’à la délivrance. Je n’ose pas le lui dire, mais pour la première fois de mon existence, sans doute, la seule idée de parcourir ne serait-ce qu’une page d’écriture m’est insupportable. Je n’ai qu’une seule envie : me concentrer sur la bataille intérieure qui se déroule alors (confiée à des soldats très indociles, qui n’ont aucun désir de quitter le campement de base…) pour en finir au plus vite et rapatrier les troupes. Je fais cependant l’effort de lire les quatrièmes de couverture. L’une d’entre elle pique particulièrement ma curiosité, et dans un moment d’accalmie, je décide, un peu malgré moi, de lire quelques lignes du roman.
Bref, l’accouchement se passe (très bien, oui, je vous remercie…), et l’on me conduit dans l’une de ces chambres pour nouvelle parturiente où je vais résider une semaine. Comme il m’est impossible de dormir plus de vingt minutes d’affilée avec deux nourrissons extrêmement vivaces et affamés, je profite des quelques instants de repos qui me sont accordés pour jeter un œil, de loin en loin, sur cette histoire qui me reste, par la force des choses, inaccessible.
Ma revanche viendra après notre retour à la maison : Le livre ne me quitte plus, je l’ouvre à la première occasion, entre quatre couches et huit biberons… Enferrée ! Capturée par l’intrigue, d’autant plus bouleversée par le moindre événement qui se déroule sous mes yeux qu’un rien me fait fondre en larmes (il suffit, comme dirait Pennac, que l’un de mes tout-petits se coince le doigt entre deux oreillers…). Bluffée, jusqu’au bout…
Ce roman, c’était La Tour noire, de Louis Bayard. A peine la dernière ligne achevée, je me procure Un Œil bleu pâle, puis, L’Héritage Dickens, juste après mon déménagement au Puy. Irrésistiblement, la lecture de chacun de ses ouvrages me ramène aux circonstances qui me l’ont fait découvrir… Comme quoi, un livre, ce n’est pas seulement un livre.

Ceci étant dit, quid de Louis Bayard ? Les éléments biographiques sont rares, et n’abordent la plupart du temps que son travail d’écrivain et de journaliste, les récompenses décernées, le chiffre des ventes et les projets. L’efficacité à l’américaine… Ce que l’on sait de prime abord tient en peu de lignes:
Louis Bayard est né en 1963 à Albuquerque, Nouveau Mexique. Après des études de littérature et de journalisme à l’université de Northwestern, Louis Bayard devient le contributeur régulier de journaux illustres tels que le Washington Post, le New York Times ou le Los Angeles Times. Critique littéraire et essayiste de talent, il couvre toutes sortes de sujets, qu’ils concernent le fonctionnement de la société américaine, les hommes politiques qui la gouvernent, ou bien la parution de nouveaux romans, et participe à trois anthologies : Maybe Baby, The Worst Noël, et 101 Damnations. On peut d’ores et déjà y goûter son humour et un certain penchant pour l’autodérision. Comme beaucoup d’auteurs américains conscients d’exercer une véritable profession, avec tout le savoir-faire qu'elle peut requérir, il s’adonne également aux joies de l’enseignement à l’université George Washington en tant que professeur d’écriture créative.
En juin 1999, il publie chez Alyson Books le roman Fool’s Errand, comédie romantique aux multiples rebondissements se déroulant dans la communauté gay de Washington D.C. Son second roman, Endangered Species (Alyson Books, 2001), raconte la quête désespérée d’un homosexuel pour offrir un descendant à sa famille. Ces deux récits (non encore traduits pour le public français à ce jour) se déroulent dans une Amérique contemporaine. Le génie de Bayard pour la reconstitution historique ne sera révélé qu’avec son premier thriller.
Mr Timothy (L’Héritage Dickens) paraît en octobre 2004 chez Harper & Collins. Un autre article de ce blog parle longuement de l’œuvre en elle-même, aussi ne m’y attarderai-je pas. Le livre ne paraîtra en France qu’en septembre 2011, après Un Œil bleu pâle et La Tour noire, publiés par le Cherche-Midi éditeur à partir de 2007. Après sa parution aux Etats-Unis, Mr Timothy entrera dans la liste du New York Times des "notable books".
The Pale Blue Eye (Un Œil bleu pâle) est publié en 2006 aux Etats-Unis (août 2007 pour la France, qui, cette fois, n’a pas raté le coche), et sera nominé pour l’obtention de deux récompenses : le « Edgar Award », et le « Dagger Award ». Le roman nous fait cette fois entrer dans les coulisses de la glorieuse West Point Academy, frappée par une série de meurtres commis sur des élèves-officiers en 1830. L’enquête est menée par Gus Landor, un ancien inspecteur de la police criminelle de New York dont les mérites ont éveillé l’intérêt des hauts gradés de l’école, et qui recrute sur place un jeune et talentueux acolyte : Edgar Allan Poe. L’illustre écrivain fut en effet un pensionnaire de l’académie, de juin 1830, quand il y fut accepté en raison de ses brillants états de service à l’armée et d’une lettre de son père adoptif, John Allan, jusqu’en mars 1831, après s’être fait volontairement renvoyer de l’école par dégoût pour la discipline militaire. Nombre de lecteurs et de critiques s’extasient sur le rebondissement final, mais admirent aussi l’ambiance créée, et le détournement habile du célèbre écrivain en personnage de fiction. Dans un cadre historique aussi impeccable que celui de L’Héritage Dickens, Bayard, après avoir dévié les mécanismes de la fiction en redonnant naissance à un personnage imaginaire créé cent cinquante ans avant lui, dresse un nouveau costume autour d’un patron jadis bien vivant. Aux Etats-Unis, une fois de plus, journalistes et public sont emballés, et le roman sera le premier à faire découvrir Bayard à l’hexagone.
Avant-dernier livre en date, The Black Tower (La Tour noire), sorti aux USA en août 2008 en édition princeps (ed. William Morrow) et en mai 2010 au Cherche-Midi, explore une nouvelle dimension du thriller historique en introduisant les enjeux politiques de la Restauration. Son personnage « vedette », tout aussi réel que Poe, n’en est pas moins entré dans la légende des détectives made in France, et inspirera de nombreux personnages fictifs dont, selon la rumeur, le Sherlock Holmes de Conan Doyle. Il s’agit du très romanesque François Vidocq, ancien bagnard, entré à la Brigade de sûreté après avoir fait ses armes en tant qu’indicateur de la police, grand modernisateur du système d’enquête criminelle, à l’instar de Clémenceau avec ses « Brigades du tigre ». Il fut également le premier fondateur historique d’une agence de détectives privés (dix-sept ans avant la création de la célèbre Pinkerton National Detective Agency), l’inventeur du papier infalsifiable, et le défenseur de l’utilisation des empreintes digitales. Dans l’œuvre de Bayard, il apparaît comme un géant aux mille ruses, gouailleur, plutôt rustre, mais d’une incroyable finesse de raisonnement, comme il en fit sans doute réellement la démonstration à ses contemporains. Son compagnon, le temps de l’enquête, est un jeune étudiant en médecine, fils du docteur de l’infortuné Louis XVII qui se trouve placé ici au cœur de l’intrigue. En France, le succès n’était pas assuré : on connaît trop bien la vision que peuvent avoir certains auteurs américains du Paris de « jadis », qu’ils transforment immanquablement en une carte postale "couleur sépia" truffée de caricatures. Mais Bayard n’est pas tout à fait un étranger chez nous : ses ancêtres huguenots ont fui la France et la répression religieuse au XVIIe siècle, puis se sont installés à New York où ils ont fait partie des premiers maires de la ville. L’auteur n’est pas de ceux qui désavouent leurs origines : il admet être un grand amateur de Paris, où il se rend régulièrement, et parle par ailleurs un français tout à fait correct. C’est ainsi qu’il est parvenu à retranscrire avec une formidable fidélité la capitale française en proie aux grands troubles liés à la Restauration et ses meneurs, qui ne souhaitent rien tant que d’effacer la moindre trace d’une quelconque révolution. Son évocation de la Terreur est tout aussi frappante, et contribue à la noirceur de son œuvre. Le lectorat français ne s’y est d’ailleurs pas trompé.
Son ouvrage le plus récent, The School of Night (Holt, Henry & Company inc., mars 2011), n’a pas encore été traduit en France et ne semble pas faire partie des prochaines publications du Cherche-Midi. Nous savons d’ores et déjà que l’intrigue se partage entre le Washington d’aujourd’hui et le royaume d’Angleterre sous le règne de Jacques 1er, fondateur de la dynastie des Stuart et fils d’Elisabeth 1ère. Une histoire toute aussi sombre que ses précédents romans : Henry Cavendish, un érudit spécialiste de la période élisabéthaine déshonoré par une grave erreur d’expertise, est abordé par Bernard Styles, un collectionneur d’antiquités de triste réputation qui accuse le meilleur ami de Henry de lui avoir dérobé une lettre très précieuse datant du XVIIe siècle. Il se trouve que l’ami d’Henry vient de se suicider… Henry se lance alors dans la résolution d’un mystère dont les origines remontent à la fameuse School of Night (nommée à l'époque School of Atheism), ce cercle d’érudits dont faisait partie entre autres Sir Walter Raleigh, Christopher Marlowe, mais aussi le scientifique injustement méconnu Thomas Harriot qui mesura la gravité terrestre soixante ans avant Newton et découvrit la comète qui sera baptisée, un siècle plus tard, « Halley ». La vocation de ce cercle était de discuter, dans le plus grand secret, de l’existence de Dieu, d’astronomie, de politique et des arts obscurs… une entreprise périlleuse quand on sait que les malheureux qui étaient surpris en train de tenir des propos "athéistes" étaient immédiatement accusés de haute trahison, crime passible de la peine de mort.
Aucune date de sortie prévue en France pour l’instant, mais on peut raisonnablement espérer voir apparaître l’ouvrage dans les rayons des librairies cette année, peut-être au cours de la pré-rentrée littéraire.
Il semblerait que Louis Bayard soit actuellement en train d’écrire un nouveau roman, pour lequel il avait demandé quelques conseils à ses lecteurs par l’intermédiaire de son blogue. En effet, harcelé par son éditeur, il ne parvenait pas à trouver un bon sujet pour sa nouvelle intrigue. Ses fans l’ont arrosé de mails qui révélaient, d’après Bayard, leur érudition et leur curiosité intellectuelle : leur simple lecture a fait germer l’idée qui lui manquait, sans avoir à retenir aucune de leur proposition… Pour les remercier de leurs efforts, il a cependant promis de leur rendre hommage dans son prochain récit en nommant l’un de ses personnages… Reader !
Nous n’avons donc pas fini, et c’est heureux, d’entendre parler de Louis Bayard. Vous pouvez compter sur moi pour vous tenir au courant de son actualité des prochains mois, mais si vous souhaitez faire le travail vous-mêmes, voici l’adresse du site internet de l’auteur :
http://www.louisbayard.com
Vous y trouverez toutes les informations officielles concernant Bayard, les présentations et critiques de ses romans par les journaux américains, des liens vers ses interviews, mais aussi vers les articles qu’il a lui-même rédigés, et enfin, son blog (ce n’est pas un contributeur des plus réguliers, mais ces petits mots sont toujours des plus agréables).
Louis Bayard possède également un compte Facebook et un compte Twitter, accessibles depuis son site.

1 commentaire:

  1. Merci pour toutes ces bonnes informations!!

    J'ai eu l'occasion de lire 'La Tour Noire' et je suis entièrement d'accord avec les critiques que tu apportes sur ce roman. Un "Thriller Historique" haletant, rythmé et riche en rebondissements. Un auteur qui joue habilement avec les mots (la traduction n'enlève absolument rien à la richesse du vocabulaire).

    Je serais tenté d'écrire que Louis Bayard nous offre à la fois divertissement, enrichissement linguisitique et stylistique, ainsi que des informations historiques sur le Paris / la France de l'époque.

    C'est décidé: je me lance prochainement dans la lecture de 'Un Oeil Bleu Pâle' et de 'L'Héritage Dickens'.

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