lundi 30 juillet 2012

221b Baker Street, de Graham Moore


Amis lecteurs, sans doute allez-vous croire, en lisant cette nouvelle critique d’un thriller historique faisant fortement référence à l’histoire de la littérature britannique, que je suis une espèce de monomaniaque, fétichiste de ce genre de mise en abîme victorienne. Il n’en est rien, et je vous le prouverai d’ici peu, car je suis bien décidée à remplumer ce pauvre blog délaissé depuis de trop nombreuses semaines. A ceux qui m’ont fait la joie et l’honneur de me lire régulièrement, toutes mes excuses… et aux nouveaux venus qui pourraient croire, en consultant la date de mes derniers posts, que ces quelques pages sont en voie de déréliction, suspendez votre vol ! Je tenterai dans les prochaines semaines de faire oublier mon manque d’assiduité. Ou pas. Souvent femme varie, bien que j’exècre ce genre de formule.

Penchons-nous donc un peu sur le cas de 221b Baker Street, un petit roman pas désagréable, premier-né du sieur Graham Moore, scénariste américain.
Pas désagréable, dans le sens où il nous apporte quelques éclairages ludiques sur l’existence d’Arthur Conan Doyle, et surtout sur la relation très particulière qu’il entretenait avec son héros le plus emblématique, Sherlock Holmes. Tout le monde connaît à peu près cette vieille histoire : Doyle détestait sa création, la jugeait médiocre et fort éloignée de ses véritables aspirations littéraires, et c’est avec soulagement qu’il avait tenté de mettre fin à cette existence fictive en « assassinant » Sherlock dans un ultime duel avec l’odieux professeur Moriarty. On sait également le tollé que provoqua, chez les lecteurs assidus de Sherlock, cette fin brutale. Peu importe : Doyle était enfin libre de se consacrer à ses autres œuvres, et durant quelques années, on ne l’entendit plus évoquer le célèbre détective. Jusqu’au jour où l’écrivain décida, à la surprise générale, de ressusciter son personnage en écrivant une aventure chronologiquement postérieure aux événements survenus dans les chutes de Reichenbach. Il s’agissait de La Maison Vide, où l’on apprend comment Sherlock Holmes a finalement survécu, et ce qu’il est advenu de lui durant ses trois années d’absence, baptisées « le grand hiatus ». Le mystère, cependant, restait entier : quelle mouche avait donc piqué l’honorable Sir Conan Doyle pour qu’il songe à renouer avec ce personnage qu’il haïssait tant, et dont il avait été si heureux de se débarrasser ?

C’est là toute l’intrigue du roman de Graham Moore, qui offre sa propre interprétation en nous faisant voyager entre deux époques. L’une, contemporaine, nous plonge dans l’univers très confidentiel et élitiste des admirateurs officiels du Canon (l’œuvre de Doyle regroupant toutes les histoires de Sherlock Holmes), présentés comme une bande de doux-dingues incroyablement érudits en la matière, absolument intransigeants et bornés quand il s’agit de défendre leur interprétation des écrits du maître. Oui, c’est cela, une bande de geeks. Le héros de cette première intrigue est un jeune membre du cercle, nouvellement intronisé grâce à sa brillante série d’articles sur Doyle, et qui décide de s’improviser à son tour détective lorsque l’un de ses coreligionnaires est retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel alors qu’il était sur le point de révéler le contenu des pages manquantes du journal que Conan Doyle avait tenu pendant toute sa vie, pages qui pouvaient vraisemblablement expliquer les raisons du retour de Sherlock sur le devant de la scène.
La seconde intrigue est menée par Conan Doyle himself, flanqué de nul autre que Bram Stoker, à l’époque directeur de théâtre. Nous sommes en 1893, Doyle a publié, deux ans plus tôt, Le dernier problème qui devait signer la fin des aventures du célèbre détective, et a pu se plonger dans ce qu’il considère comme son œuvre véritable. Malheureusement, la réception d’un colis piégé dans sa propre demeure, avec les dégâts matériels qui, immanquablement, vont s’ensuivre, le pousse à mener une enquête sur la mort de plusieurs jeunes filles dans les quartiers les plus sordides de Londres.
Ces deux affaires, menées parallèlement, conduisent le lecteur, chapitre après chapitre, à la résolution de deux mystères, mais aussi d’un troisième, beaucoup plus vaste : la réapparition subite de Sherlock Holmes dans les écrits de Sir Arthur Conan Doyle. Deux enquêtes menées à plus d’un siècle de distance, par deux personnages que tout oppose : le premier a pour lui la jeunesse, l’enthousiasme et le culot. Il est à ce point passionné par le Canon qu’il en vient à se sentir habité par l’esprit de Sherlock, lui offrant ainsi la certitude d’être celui qui résoudra le meurtre de son vieil ami. L’autre est l’ennemi mortel de Sherlock Holmes, et celui qu’on désignera longtemps comme son assassin, mais qui, pour les besoins de son investigation, se devra de revêtir les oripeaux de ce personnage tant haï. L’idée n’est pas mauvaise, et a la vertu d’apporter une subtilité psychologique certaine à l’auteur devenu, ici, personnage de roman, et alter-ego holmésien. Evidemment, il ne s’agit pas d’une grande nouveauté littéraire. D’autres écrivains ont exploré avant Graham Moore les relations complexes entre les écrivains et leurs créations, et les conditions dans lesquelles identité et entité peuvent se fondre, s’imbriquer ou s’opposer, dans des genres plus ou moins fantastiques. Si Graham Moore n’apporte rien de radicalement novateur à ce type de littérature, il tire cependant assez bien son épingle du jeu, malgré un dénouement un peu faible et une alternance trop systématique et parfois ennuyeuse des deux intrigues d’un chapitre à un autre. Un petit roman pas trop mal tourné en somme, enrichissant si l’on s’intéresse à ce pan de l’histoire littéraire et aux fameuses règles de conduite que tout bon auteur de policier se doit de suivre (à ce propos, les lettres de Chandler apportent tout de même un éclairage beaucoup plus passionnant, mais passons). Si l’on n’attend de ce genre d’histoire qu’un peu de divertissement et une lecture facile, assortie des quelques détails historiques nécessaires, 221 B Baker Street remplit convenablement son office.