samedi 26 juillet 2014

Top Réalité, de Donald Westlake

Je vous ai parlé du Donald Westlake de l’ombre, celui de Mémoire Morte, du Couperet et du Contrat, mais je ne vous ai jamais parlé de Dortmunder, le versant plus grand-guignol, parodique et plein de panache de cet immense auteur de polars qu’est le défunt Westlake, adoré par Stephen King. Avec Top Réalité, l’une des dernières aventures de John Dortmunder publiée en France par Rivages, je répare cette vilaine négligence, en espérant faire des adeptes !

 

Qui est John Dortmunder ?


Pour les petits veinards qui ne connaîtraient pas encore le héros emblématique de Westlake (et à qui il reste donc plein de bouquins à découvrir !), petit portrait du bonhomme :

Dortmunder est un cambrioleur à l’ancienne mode, adepte de la non-violence et des plans bien ficelés, des coups en douce, bref, son casse idéal est celui que la victime sera incapable de voir. C’est aussi (et c’est là que le romanesque intervient) le voleur le plus poissard de toute la littérature. A se demander pourquoi son équipe accepte encore de travailler avec lui. Si Dortmunder se vante de ne pas être superstitieux, il ne peut cependant pas s’empêcher de se convaincre que quelque chose va forcément tourner mal quand tout semble aller pour le mieux. Il faut dire que ses coups les mieux ficelés ont la fâcheuse habitude de virer en eau de boudin.

Son équipe, parlons-en : Stan Murch est le chauffeur de la bande. Un as du vol de bagnoles, fils d’une chauffeuse de taxis, on choisit pas ses parents… Andy Kelp est le meilleur ami de Dortmunder, aussi enthousiaste que son pote est pessimiste, il sert un peu à tout, que ce soit pour baratiner ou pour ouvrir un coffre récalcitrant. « Tiny » Bulcher est le costaud de la bande. Mais vraiment costaud. Tellement qu’on ne le voit presque jamais se battre : faudrait être barge pour attaquer une masse pareille. Judson Blint ou « Le gamin » est un peu la mascotte du groupe, l’aspirant malfrat qui doit encore faire ses preuves (quoi qu’il semble plutôt bien intégré dans Top Réalité).

D’autres membres composent cette joyeuse équipe, en fonction des romans et des besoins du casse. Ces trois-là, avec Dortmunder, forment la bande de Top Réalité.

Top Réalité : l’idée de génie d’un producteur télé


Doug Fairkeep est un cadre dynamique, producteur de reality-shows pour une société baptisée Top Réalité, et de ce fait, son mode de déplacement favori reste la course en taxi new-yorkais, évidemment. Et, évidemment, c’est sur la gentille maman de Stan qu’il va tomber, elle qui trimbale son cab d’un bout à l’autre de la grosse pomme sans jamais oublier de faire la causette au chaland. Quand Doug Fairkeep raconte les coulisses de son métier à la brave Mrs Murch, et lui raconte même le dernier concept d’une émission en cours de développement, la taxi-driveuse réagit au quart de tour : Une émission de télé-réalité filmant des malfrats en train de préparer leur coup, et de le réaliser ? Génial ! Justement, mon fiston est de la partie. Je vous laisse mon numéro… Et voilà donc Stan Murch, puis, par la force des choses, John Dortmunder, et puis Andy, Tiny et le Gamin, embringués dans cette histoire pas comme les autres : la leur. Ou presque, puisqu’il n’y a rien de plus bidonné qu’une émission se proposant de vous dire la vérité… Heureusement, l’équipe de John n’en est pas à un faux-semblant près. Elle semble même bien décidée à se faire un bonus en mordant la main qui se risque à les nourrir.

Inutile d’en dire beaucoup plus. Inutile, non plus, de vous creuser la cervelle à découvrir le grand mystère derrière les mésaventures de Dortmunder et sa bande : pour cette fois, Westlake a passé son tour. On est juste aux prises avec la déveine ordinaire du « cerveau » de la bande, et l’on se marre bien, franchement, à découvrir avec quel génie Dortmunder sait maintenant déjouer les coups du sort. Une capacité d’improvisation hors-pair, Johnny.

Vous avez aimé Ocean’s 11 et Snatch ? Un roman avec Dortmunder, c’est un peu le compromis idéal entre la bande élégante et rusée qui répugne à faire couler le sang, et une équipe d’ouvriers du crime pas toujours bien embouchée. La classe ultime, quoi.

Je ne résiste d’ailleurs pas à l’envie de vous transcrire, en guise de conclusion, quelques lignes du roman, comme ça, hors contexte. Un dialogue entre le fameux Stan et Max, un revendeur de voitures d’occasion, pas très regardant sur la provenance de la marchandise :

« Stan tourna la tête. Le nouveau client qui venait de se joindre aux molécules aléatoires qui arpentaient le parking en long, en large et en travers, était un énorme personnage doté d’une énorme barbe noire et d’une masse de cheveux noirs crépus. Il portait une sorte d’ample chemise hawaïenne, d’un orange terne, de sorte qu’il ressemblait surtout au roi des abricots.

« Eh ben dis donc », fit Stan. Dans son esprit, c’était un compliment.

Penché sur son bureau, émettant un chuintement en direction de la fenêtre, Max demanda : « Tu crois que c’est un journaliste déguisé ?

- En quoi ? En gros tas mou ? demanda Stan en secouant la tête. Allez viens, Max, je vais te montrer la voiture. »

Mais Max continuait de scruter le parking. « Regarde ce qu’il fait. »

Le nouveau venu s’intéressait de près à une Volkswagen Golf, qui n’est pas une voiture particulièrement spacieuse.

« Qu’est-ce qu’il veut en faire ? » demanda Stan.

Le client obèse ouvrait la portière du conducteur. Avant que le neveu de Harriet ait le temps de rappliquer pour aborder le problème, il avait entrepris de s’insinuer derrière le volant.

« Ça va pas le faire. » commenta Max.

L’homme continuait de se tordre et de se contorsionner toujours plus avant à l’intérieur de la voiture.

« Il va partir en la conduisant ou c’est pour s’habiller ?

- S’il peut pas se déshabiller, elle est vendue. On va les laisser trouver une solution sans nous, Stanley, viens me montrer ce que t’as apporté. »

Et ils partirent jeter un coup d’œil à l’ex-Caliber de Stan. »



mardi 22 juillet 2014

Série jeunesse : La famille Souris

Voilà une série de petits albums, superbement illustrés et écrits par le Japonais Kazuo Iwamura, que vous trouverez en album ou en lutin poche à L’école des loisirs. Mes gosses n’en décollent plus, et ils ont bien raison !

Voir mes enfants se plonger avec tant de plaisir dans La Famille Souris (les trois qui sont en leur possession en tout cas : La Famille Souris dîne au clair de lune, La Famille Souris se couche, Le Pique-Nique de la Famille Souris) me rappelle l’un de mes plus beaux souvenirs de lecture d’enfance. Pour moi, c’étaient les albums de l’illustratrice (japonaise elle aussi) Gyo Fujikawa. Vous la connaissez sûrement, et même si vous ne reconnaissez pas son nom vous vous souviendrez de ses histoires. Elle fut l’auteur d’une cinquantaine d’albums, introduisit, avant que ça ne devienne la coutume, des personnages d’enfants venus du monde entier, rassemblés dans un univers où, miracle ! les parents ne semblaient même pas exister. J’adorais ses histoires de cabanes, et ses bandes de joyeux gamins, avec leurs animaux extraordinaire. L’un d’eux avait un petit oiseau sur l’épaule, et il y avait une petite fille qui vivait dans une maison incroyable. Et pas un adulte à l’horizon. Le rêve.

La Famille Souris : Une vie au ras du sol


« Grand-père, grand-mère, papa, maman, et nous, les dix enfants, nous formons une famille de quatorze souris. » Ainsi débute, avant même les premiers mots de l’histoire, chaque album de cette petite famille finalement très traditionnelle (dans le sens nippon du terme, bien sûr). Fin des points communs avec l'auteure de mon enfance : ici, adultes et enfants vivent main dans la main. Les générations mêlées transmettent leur savoir aux plus petits. De Benjamin à grand-père, il y a tous les âges : 14 petites souris vivant au creux d’un arbre immense, au milieu d’une forêt lumineuse, fourmillante, bruissante de vie, les mésanges, les grenouilles et les crapauds s’invitant de temps à autres, dans ce monde parfaitement paisible, sans prédateurs. La Famille Souris se promène, pique-nique, construit des passerelles, des échelles et des plates-formes dans les branchages, et le soir, dévore sa potée de bourgeons et se baigne dans une salle de bain remplie de vapeur. On respire cette atmosphère de fumée, d’air frais et léger, de fougères et de bois. Et quand grand-mère chante sa berceuse, je peux vous dire que même la conteuse étouffe un bâillement.

C’est beau, poétique, tendre, lent, mais pas bébête. Juste un bel appel de la nature, un hymne à la simplicité de la part d’un auteur qui vit lui-même au beau milieu des bois et en tire son inspiration. Je sais que beaucoup de mamans ont lu au moins une fois du Kazuo Iwamura à leurs enfants. Pour ma part, c'est surtout son trait qui m'a conquise.

Kazuo Iwamura : la délicatesse


Vous trouverez difficilement un illustrateur jeunesse plus subtil que celui-ci. Les lignes sont d’une merveilleuse finesse, et son traitement des couleurs nous plonge plus sûrement encore que ses mots dans son univers. Capable de retranscrire les mille et un changements de lumière et de teintes d'une forêt au crépuscule (lisez La Famille Souris dîne au clair de lune, et vous verrez), son œuvre rappelle Le Vent dans les saules, et autres merveilles d’aquarellistes inspirés. Et, évidemment, les œuvres les plus écolos de Miyazaki.

A tel point que je suis fichue d’acheter toute la collection à mes souriceaux à moi (15 titres disponibles à L’école des loisirs). D’autant que les petits en question ne décrochent pas. Ils ont leurs scènes favorites (celle du bain, ou celle de l’apparition de la lune derrière les collines), et chaque planche est si riche de détails qu’ils pourraient passer des heures à traquer une reinette, un papillon ou un bleuet. Pour les parents, je vous le dis au passage, c’est un moment de paix assuré. Le Japon adoucit les mœurs…

Pour finir, deux doubles pages tirées de La Famille Souris. La photographie ne leur rend pas grâce (mon téléphone portable n'a aucun goût), mais vous pourrez facilement découvrir par vous-même, en vrai, dans une bonne librairie jeunesse.

La Famille Souris dîne au clair de lune : l'ascension du grand arbre.



La Famille Souris se couche : L'heure du bain...

La Famille Souris, de Kazuo Iwamura, éd. L'école des loisirs (coll. Lutin Poche ou grand format).

mercredi 16 juillet 2014

Le Cavalier suédois, de Leo Perutz

J'avais dans l'idée depuis un moment de vous parler du Cavalier suédois, formidable roman en langue allemande de Leo Perutz.  Publié en 1936, réédité en France par les non moins merveilleuses éditions Phébus, à qui l'on doit la redécouverte de Wilkie Collins en France, et quelques beaux inédits de Jack London, entre autres.

J'ai adoré Le Cavalier suédois dès la première lecture, pour son souffle, ses astuces narratives, cette respiration que l'on goûte quand un livre vous donne vraiment l'impression de voyager (et pas seulement de vous faire voyager). Une fresque qui évoque un rien le Barry Lyndon de Stanley Kubrick (peut-être parce que le héros de Kubrick m'a toujours fait l'effet d'un imposteur dans sa propre maison) et qui nous emmène au grand galop à travers la Suède du XVIIIe siècle. Croyez-moi, un tel bouquin vaut cent Millenium.

Malheureusement, en effectuant quelques recherches pour concocter mon billet, j'ai découvert ce blog, et dans ce blog, ce billet.
Étant en tous points en accord avec Paul Emond, je me permets donc seulement de vous glisser un lien vers son article, savant, pertinent et passionné, comme je les aime. N'hésitez pas également à traîner dans ses pages, ça vaut souvent le détour.

Paul Emond, pour vous donner un bref aperçu du bonhomme, est un romancier et auteur dramatique, membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Il a donné entre autres naissance à la périlleuse Danse du fumiste, un récit composé d'une seule et unique phrase, que je vous conseille vivement, ne serait-ce que pour l'expérience "à la Pérec".

Bref, quoi qu'il arrive, lisez Le Cavalier suédois.

Le Cavalier suédois, de Leo Perutz (traduction de Martine Keyser), 1987, éditions Phébus.

mardi 15 juillet 2014

A L’Ecole de la nuit, de Louis Bayard

Je vous avais promis il y a déjà quelques semaines de vous parler du petit dernier de Louis Bayard (pas son dernier-dernier, en fait, mais le plus récemment n’est pas encore traduit). Effectivement, j’avais raté lamentablement la sortie du nouvel opus de Bayard en automne dernier, persuadée que le Cherche-Midi boudait ce maître du thriller historique. Livre lu, je vous le présente aujourd’hui.

J’ai entendu parler de A L’Ecole de la nuit il y a déjà un bon moment, alors que je préparais mon billet sur Louis Bayard et que je cherchais des infos sur son blog. Evidemment, après la lecture d’Un Œil bleu pâle, de La Tour noire et de L’Héritage Dickens, tous trois excellents, j’attendais avec une certaine curiosité (bon, je bouillais d’impatience) la sortie française de son petit dernier. Sauf que… bof. Et même franchement bof-bof. En toute honnêteté, si je n’avais pas eu le plus grand respect pour les œuvres précédentes de Mr Bayard, je n’aurais même pas pris la peine de chroniquer, de billetonner, bref, j’aurais laissé ma machine au repos, et le livre, dans un coin de ma bibliothèque (je vous ai parlé de ma nouvelle bibliothèque ?). Mais nous parlons de Louis Bayard, le type qui a réussi avec une égale virtuosité à ressusciter Tiny Tim, Edgar Poe et Vidocq. Je me sentais mal de le traiter par le mépris, mais je vous l’annonce, la rédaction de ce billet, au moment-même où elle s’opère, est au moins aussi douloureuse.

A L’Ecole de la nuit : L’histoire


Il s’agit ici pour l’auteur de flirter avec un thème récurrent (et même un peu trop) de la littérature fantastique et historique : l’alchimie.

Et d’ailleurs, je vais me permettre une brève parenthèse : l’alchimie m’emmerde. Ça fait déjà un bon moment que l’on sait que personne n’a réussi à changer ce fichu plomb en satané or, que l’homme parfait, c’est pas pour demain, et que les recoins les plus occultes des sectes les plus mal famées ne parviendront jamais à faire oublier ces échecs retentissants. Envelopper un flop de mystère n’efface pas le flop. Fin de la parenthèse.

Or donc, c’est l’histoire d’Henry Cavendish, un universitaire raté jadis foudroyé en pleine ascension, qui se retrouve, bien malgré lui, à endosser le rôle d’exécuteur testamentaire pour son ancien pote de fac, un drôle de zozo appelé Alonzo Wax. Alonzo Wax était un fabuleux collectionneur de livres rares, un trésor convoité par beaucoup, notamment Bernard Style, autre collectionneur de peu de scrupules. Très vite, les cadavres s’accumulent autour d’une mystérieuse chasse au trésor.

Pendant ce temps (ou pas, en fait), au XVIe siècle, Thomas Harriot, savant réputé et membre fondateur de la célèbre Ecole de la nuit, société secrète pourvoyeuse d’idées interdites, découvre l’amour dans les bras d’une jolie servante.

Quand Bayard cède à la facilité


L’air de rien, et même s’il possède quelques atouts fort sympathiques (Bayard est un pro, quoi qu’il arrive), le roman accumule au fil des pages certains des poncifs qui m’insupportent le plus dans la littérature contemporaine.

Le premier : l’héroïne. Aux côtés d’Henry Cavendish navigue une créature impossible. Une femme à la fois belle, aventureuse, intelligente, courageuse, talentueuse, avec un petit quelque chose de venimeux qui la rend, bien sûr, encore plus irrésistible. Bref, une femme qui n’existe pas, la parfaite création de roman placée ici, dirait-on, pour attirer les fans de Tomb Raider et les lecteurs en mal de romantisme. Le genre de personnage, vous l’aurez compris, qui me hérisse au plus haut point. A un tel degré, d'ailleurs, que j'ai purement et simplement oublié le nom de la divine acolyte.

Le second : Un premier mystère qui n’en est pas un, que vous découvrirez assez vite si vous lisez un tant soit peu en face des trous, et un second mystère authentique, mais révélé trop tard : tout le monde s’en fout. Dommage ! Ce mauvais timing ampute vraiment le roman d'une large part de son intérêt.

Le troisième : La mode énervante de la mise en parallèle de deux dimensions temporelles distinctes, sauf que, bien sûr, on sait, c’est évident, que le passé viendra bientôt enrichir le présent, franchement, on n’est pas nés de la dernière pluie. Oui. A tel point que le procédé est déjà usé jusqu’à la corde : le système de double fil narratif m’agace, parce qu’on sait toujours, même sans connaître les détails, comment et à quel moment seront révélés les points clés. Quand Louis Bayard emploie la mise en abîme, il est mille fois plus ingénieux.

Alors bien sûr, le roman n’est pas complètement, absolument mauvais. Bayard sait camper ses personnages, et l’intrigue qui se déroule au XVIe siècle ne manque pas d’intérêt. C’est que Bayard, semble-t-il, est décidément beaucoup plus à l’aise quand il raconte d’autres époques que la sienne. Le présent lui va mal. Ça tombe bien : son prochain roman se déroule à l’époque de la jeunesse de Theodore Roosevelt, et je vous en parlerai dès que possible.

A L’Ecole de la nuit, Louis Bayard (traduction de Pierre SZCZECINER), 2013, Le Cherche-Midi éditeur

lundi 14 juillet 2014

Ma bibliothèque, enfin !

Pour ceux qui ne me connaîtraient pas, ou peu, sachez que nous avons déménagé il y a un peu plus d'un an dans ce qui peut se décrire comme l'appartement de nos rêves.

Mais attention, "appartement de tes rêves" signifie souvent : "Noie-toi dans les travaux avant de fouler le parquet de tes rêves, de poser les fesses sur la chaise de tes rêves, pour lire le bouquin de tes rêves dans la bibliothèque de tes rêves."

Alors, un an et demi après l'achat, un an après l'emménagement, et quelques semaines après que Monsieur a décidé de prendre les choses à bras-le-corps et a foncé, truelle entre les dents, dans cette petite pièce jusqu'ici dévolue au stockage de cartons et de meubles, nous voici.

Ce weekend, dans la bibliothèque toute neuve, nous avons placé les étagères et pendant 48 h, j'ai charrié des cartons. Des bouquins qui n'avaient pas vu le jour depuis plus d'un an, les pauvrets, tout comprimés et anémiques. Je te les ai rangés plus vite que les deux mamies de C'est du propre, et j'ai fait des photos.

Il y a des gens qui mitraillent leurs gosses, moi, j'ai décidé shooter mes livres.

Lauren découvre Instagram...



Regardez comme ils ont l'air contents !

Tortue-lampe a enfin trouvé sa place
Voilà, difficile de vous donner un aperçu de toute la pièce avec juste un petit téléphone portable (d'autant que la bibliothèque n'est pas bien grande non plus), mais je peux vous dire que cette pièce n'a pas fini de me supporter !

Autre chose : Monsieur pense encore que que cette bibliothèque est une sorte de lieu collectif, pour toutes la famille. En réalité, il s'agit de mon antre, que j'accepterai par bonté d'âme de céder de temps à autres à mes êtres aimés, pour la paix des ménages. Merci cependant de ne pas le détromper.

dimanche 13 juillet 2014

Avis de mise en chantier

Autant vous prévenir tout de suite, puisque les vacances approchent : ce blog devrait faire (presque) peau neuve dans les jours qui suivent. Je ne sais pas encore quoi, comment et où, mais une chose est sûre, avoir un blog littéraire avec une image de joli bouquin en gros plan et flou artistique, ça me gave. Si vous avez des idées...


Les prochains billets en image !

L'été arrive, et avec lui, une belle cargaison de bouquins tous beaux, tous chauds, pas forcément tout nouveaux, mais ceux d'entre eux qui m'auront suffisamment marquée trouveront leur juste place sur ce blog !

Voici ma pré-sélection en photo (j'ai un peu flouté l'histoire pour rajouter du mystère) :




N'hésitez pas à donner votre avis au sujet de ceux que vous reconnaissez, ceux que vous avez lus, ceux que vous aimeriez lire !

jeudi 29 mai 2014

El-Levir, de Alain Damasio et Philippe Aureille

Publiée en 2009 aux éditions Organic, une petite merveille de conte graphique où le plus grand livre s’écrit dans les cieux…

La vie et rien d’autre


Pas facile de résumer en quelques lignes cette nouvelle pourtant courte, aussi éphémère que la vie elle-même. On pourrait évoquer El-Levir sous la forme de règles du jeu : Dans un monde ressemblant étrangement au nôtre, mais qui pourrait se situer, soit mille ans dans le futur, soit mille ans dans le passé, El-Levir est le plus grand scribe de son temps. Il réunit ainsi les plus merveilleux talents de calligraphe, et le savoir livresque le plus profond. Il est donc logiquement désigné pour accomplir la plus formidable mission qui puisse être confié à un savant de sa catégorie : Ecrire le plus grand livre de tous les temps, et mourir.

La rédaction du Livre obéit en effet à des règles extraordinaires : chaque mot tracé devra voir ses dimensions doubler par rapport au mot précédent. D’un mot à un autre, le support ne peut jamais être le même. L’écrivain devra rédiger sous la dictée de « valets de matière » (en fonction du support choisi) et oubliera au fur et à mesure les mots qu’il aura tracés. Ainsi le scribe ne pourra jamais connaître la globalité du plus grand Livre de tous les temps. En fait de livre, il s’agit d’ailleurs d’un poème, dont la première phrase sera, sous une forme ou une autre, la dernière.

El-Levir a été choisi pour accomplir cette grande mission, qui sera la dernière de sa vie. Des dizaines de scribes ont essayé avant lui et s’y sont rompu les os. El-Levir réussira-t-il ? C’est là que la force de la légende offre à ce livre unique et universel, comme une histoire par-dessus l’Histoire. Le Livre, après tout, n’est rien d’autre que la vie : bref, éclatant, monumental et cruel.

Damasio et personne d’autre


Qui d’autre qu’Alain Damasio aurait pu raconter, avec une telle économie de mots et pourtant un tel lyrisme, la plus grande histoire de tous les temps ? 5 ans après La Horde, on retrouve certains des thèmes les plus chers à l’auteur : la vie, bien sûr, qui dans son second roman adoptait la forme plus subtile du vif, les éléments, vus comme les composantes d’un même organisme, mais prêtant cette fois plus volontiers leur secours au plus grand poète du monde. Le verbe, intimement lié aux deux premiers thèmes. Tous combinés ensemble, Vie, Nature et verbe, forment cette explosion extraordinaire, ce bref éclat de joie primordiale, une flamme d’énergie pure.

El-Levir aurait tout aussi bien pu être Caracole (bien plus que Sov, si vous voulez mon avis) : tous deux ont eu cette vie un peu mystérieuse qui s’efface derrière l’œuvre, tous deux sont les plus talentueux, et les moins en quête de gloire. Une humilité profonde les habite, et ce besoin perpétuel de représenter la vie, à tel point qu’ils en oublient la leur. La Vie les dévore, les métamorphose, les dilue, et pourtant, ils sont toujours là.

Comme pour La Horde du contrevent, on n’entre d’ailleurs pas si aisément dans ce récit-là. Mais, et c’est la magie du style Damasio, ce phrasé étrange, parfois alambiqué, déconstruit, cette logique si particulière s’insinue en nous après quelques pages, et l’on plonge, comme si on n’avait jamais peiné. Pour se réveiller à la fin de l’histoire, dont je ne vous révélerai évidemment pas le dénouement, bande de petits malins.

L’écho de Philippe Aureille


Non, ce titre n’est pas un jeu de mot de mauvais goût. Le travail de graphiste et d’illustrateur de Philippe Aureille fonctionne un peu à la manière d’une onde de choc qui aurait pris naissance avec les mots de Damasio. Lettrages épais, textures brutes, un effet proche du graffiti urbain, comme si, pour la postérité de la légende, El-Levir devait se retrouver gravé dans le béton. Décalage étrange : là où Damasio nous parle des forces de la nature et de l’inspiration que nous offre chaque jour la vie dans ce qu’elle a de plus pur, Aureille gratte les surfaces, imprime sur le rugueux, le sanglant. On croirait qu’il cherche à imprimer en nous les souffrances du scribe. Son travail, juxtaposé au verbe « damasien », offre un résultat fascinant, au sens littéral. Et fort logique, d’ailleurs, puisque l’artiste a évité l’écueil primordial de souligner les propos de l’écrivain à grand renfort d’aquarelles et d’estampes, le premier degré chez Damasio. Avec Philippe Aureille, merci à lui, on creuse. On s’enfonce, et on s’écorche.

Et pourtant, on s'envole. Allez comprendre !




jeudi 22 mai 2014

Little Bird, de Craig Johnson

Je vous en parlais il y a quelques semaines, Craig Johnson est mon coup de cœur n°1 du moment. Et puisqu’il faut bien commencer par le début, c’est du premier bouquin de la série des Longmire que je vais vous parler aujourd’hui… 

 Bienvenue dans le comté d’Absaroka, Wyoming


Veuf depuis quelques années, le shérif Walt Longmire aspire à une retraite paisible après 24 ans de bons et loyaux services dans le comté d’Absaroka. Un lieu qu’il connaît par cœur, dans lequel tous les visages ont un nom, une histoire ou une anecdote. Seulement voilà, quand le jeune Cody Pritchard est retrouvé mort après une indigestion de plomb, c’est une sale affaire qui remonte à la surface. Pritchard avait en effet participé, avec trois de ses sympathiques camarades, au viol de la petite Little Bird, jeune cheyenne atteinte du syndrome d’alcoolisme fœtal. Les quatre gentlemen avaient échappé à la prison au grand dam de Longmire, qui va devoir aujourd’hui comprendre qui veut leur faire prendre perpète, d’une façon beaucoup plus radicale.

Et comme si ça ne suffisait pas, on annonce un blizzard d’ampleur apocalyptique.

La revanche des Cheyennes et des obèses


Avec son mètre quatre-vingt-dix et son allure de gros nounours, Longmire se trouve moche et insignifiant. Il est comme ça, Walt, il pousse tellement l’autodérision que ça finit par ressembler bigrement à de l’auto-apitoiement. Et pourtant, permettez-moi l’expression, le bonhomme est un véritable aimant à gonzesses. Vous verrez, ça se vérifie quasiment à chaque opus de ses aventures.

Dans Little Bird, on découvre un Longmire vaguement dépressif, encore en deuil après la disparition de son épouse bien-aimée, délaissé par sa fille devenue super avocate dans la grande ville. Heureusement pour lui, il ne manque pas de très bons copains pour lui remonter le moral. A commencer par Standing Bear, autre géant et représentant charismatique de la nation Cheyenne à Absaroka. Standing Bear tient un bar fréquenté aussi bien par les blancs que par les indiens, et reste fidèle à une philosophie qui mêle facilement le lyrisme aux coups de latte. C’est aussi, comme on le découvre au fil du roman, le bras droit non officiel de Walt Longmire, surtout lorsque celui-ci doit mener ses enquêtes dans la réserve toute proche.

Il y a aussi Vic, la très belle et très ordurière adjointe, future héritière de l’étoile de shérif. Une petite nénette extrêmement douée qui peine à prononcer une phrase sans y adjoindre un « putain-merde-fait-chier » bien senti.

D’autres personnages viennent compléter cette galerie pittoresque, incroyablement humaine, autour d’une enquête qui soulève la question douloureuse de l’intégration des indiens dans un monde qui s’est si soigneusement appliqué à les faire disparaître, et où les mentalités du far west ne sont jamais longues à réapparaître. On découvre ainsi (sujet plutôt exotique pour les Français que nous sommes) la réalité indienne d’aujourd’hui, ce mélange subtil entre coutumes ancestrales, rancœurs de réprouvés, et désir d’avancer avec l’histoire. Pour ma part, je ne connaissais pas le dixième de ce que j’ai pu apprendre en lisant Craig Johnson, et ce seul élément mérite qu’on se penche sur ses histoires.

Humour, meurtre et grands espaces


Le style de Craig Johnson, quant à lui, est parfaitement inimitable. Vous allez vous poiler, pleurer, rester bouche bée face aux descriptions majestueuses de la région et à l’évocation des forces de la nature, omniprésentes dans ce premier titre de la série. A cet égard, la scène épique et onirique du blizzard est un merveilleux exemple du lyrisme à la Johnson.

Mais, oui, aussi, vous allez rire. Tout le temps, en fait. Parce que Craig Johnson est doté de ce genre d’humour aussi vache qu’affectueux qui vise juste à tous les coups. Les dialogues entre Walt Longmire et Standing Bear n’en sont qu’un exemple parmi tant d’autres.

Et puis, vous allez pleurer, un petit peu. L’histoire de Little Bird est une tragédie, abordée très sobrement, avec la délicatesse qui caractérise le héros, et donc d’autant plus émouvante.

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, Little Bird reste mon préféré de la série, qui contient pourtant nombre de trésors. Après Little Bird suivent en effet Le Camp des Morts, L’Indien Blanc, Enfant de poussières, Dark Horse et le petit dernier, Molosses, tous publiés dans l’excellente maison d’édition Gallmeister, dont je vous conseille la découverte du catalogue. Pour célébrer mon anniversaire, ma maman, qui est une femme bien, m’a promis de m’offrir les deux derniers. Il se pourrait donc que je vous en parle sous peu.

Cerise sur le gâteau, on parle de Craig Johnson comme d’un écrivain extrêmement sympathique, assez semblable, au final, à son héros, aussi bien au physique qu’au moral. Il s’est déplacé plusieurs fois en France, ne ratez pas sa prochaine visite !

Craig Johnson sur la toile

Pour ceux qui voudraient en apprendre plus sur le génial auteur de Little Bird, Le Camp des Morts, et plus récemment Dark Horse et Molosses, je conseille l'excellente rubrique livre de Gilles Heuré sur le site Télérama.fr, qui justement parlait il y a peu du dernier bouquin traduit de Craig Johnson.
(Gilles Heuré est également l'auteur d'un excellent dossier sur l'histoire du spiritisme et son influence sur la science, la littérature, le cinéma et la photographie. Documenté et passionnant !)

Si vous avez envie de savoir ce que donnerait un Longmire en chair et en os, vous pouvez toujours jeter un oeil sur l'article Wikipédia parlant de la série, adaptée du bouquin. Deux saisons déjà disponibles aux Etats-Unis, une troisième en route.

A bientôt !

jeudi 15 mai 2014

La Dernière Séance, de Larry McMurtry

Grand classique du roman américain du 20e siècle : La Dernière Séance de Larry McMurtry offre l’un des regards les plus lucides de la littérature sur la fin de l’adolescence. 

 

Séance de rattrapage


Pour ceux qui n’auraient jamais, ni vu le film de Peter Bogdanovitch (avec Timothy Bottoms et Jeff Bridges, 1971), ni lu ce grand roman, il est vrai assez peu connu en France et publié en 1966 aux Etats-Unis sous le titre The Last Picture Show, petit rappel de La Dernière Séance :

Larry McMurtry raconte une histoire simple, ou plutôt, plusieurs histoires. C’est une fois superposées qu’elles prennent évidemment (sinon le roman ne serait pas si bon) tout leur sens.

C’est l’histoire de Sonny et Duane, deux adolescents sur le point de quitter le lycée et d’entrer dans le monde des adultes, qui papillonnent en attendant entre leurs petits jobs sur la plate-forme pétrolière, et leur séances de cinéma au drive-in où l’on fait tout, sauf admirer les stars.

C’est l’histoire d’un cinéma de plein air sur le point d’éteindre pour toujours ses projecteurs.

C’est l’histoire d’une bande de gamins qui ne rêvent que de séduire les plus belles filles, et de les emporter loin de ce trou perdu qu’ils n’ont jamais quitté : la petite bourgade de Thalia, au fin fond du Texas.

C’est l’histoire d’un garçon un peu simplet qui nous rappelle, tragiquement, le Lennie Small des Souris et des hommes.

C’est l’histoire d’un jeune homme qui tombe amoureux d’une femme « trop vieille pour lui ».

C’est l’histoire de deux vagues vedettes locales du football américain (Sonny et Duane, toujours) qui découvrent que la vraie vie se fout de leur gloriole.

Sexe, fantasmes et illusions perdues


Évacuons tout de suite la question de l’adolescence éternelle, ou plutôt, l’idée que la jeunesse d’hier n’est guère différente de celle d’aujourd’hui. A force d’être brandie comme un étendard, l’idée a singulièrement perdu de son originalité. Mais, oui, c’est vrai, on retrouve chez McMurtry les mêmes tourments que ceux que l’on a pu vivre au lycée (ou peut-être au collège, puisqu’il paraît que nous mûrissons plus vite, à moins que…). A savoir : la nécessité de perdre sa virginité au plus vite, si possible avec un partenaire dont on n’ait pas à rougir, mais à défaut…

Oui, résumer l’adolescence à une question de sexe, c’est mettre de côté la complexité profonde du passage de l’enfance à l’âge adulte. Et, justement, dans Larry McMurtry, il n’est pas seulement question de sexe, même s’il constitue « la première couche » du roman.

Dans cette petite ville puritaine du sud des États-Unis, perdue au milieu du désert, le sexe, vu par les ados, est un instrument de provocation et de rébellion diablement séduisant. On s’échappe de la réalité et des conventions sociales à coup de séances de pelotage au drive-in du coin, on fait des virées dans la ferme voisine pour se soulager dans le bétail (véridique !), sans s’avouer qu’au fond, on ne fait que reproduire une sorte de rituel conduit, sous d’autres formes, depuis des générations.

Mais nous sommes dans les années 1950 : Le plus petit acte de révolte évoque immanquablement les premiers germes d’une société nouvelle, et pas seulement chez les jeunes…

Il y a aussi, chez l’auteur, l’analyse d’une jeunesse hésitante, aussi bien esclave de son image que des codes de la société. Des gamins qui, à 17 ans, vivent déjà sur leur réputation, et l’entretiennent en rêvant de séduire les plus jolies filles. Il y a aussi, évidemment, la trouille profonde de mettre un pied hors de leur trou perdu : hors d’Althea, ils ne seront plus rien.

Et puis, enfin, il y a les adultes, et c’est la grande force de McMurtry de ne pas s’enfermer dans un tableau typiquement adolescent, car les personnages plus âgés sont au moins aussi profonds et passionnants.

Trou perdu, types paumés


Les « vieux » ne sont pas épargnés dans cette tranche de vie. Ils sont parfois brutaux, comme le mari de Ruth, un prof de sport plutôt bas de plafond qui tient son épouse sous sa coupe. Parfois pitoyables et magnifiques, comme Ruth, premier véritable amour de Sonny, qui met tout son désespoir dans sa romance avec le jeune homme. On rencontre aussi la mère alcoolique et désabusée de Jacy, riche petite amie de Duane et insupportable gamine gâtée.

La galerie de portraits pourrait se poursuivre encore quelques pages, entre Sam Le Lion, propriétaire du Drive-in, et les multiples personnages de ce récit pourtant court : un concentré de vies coulant grain après grain, comme le sable du désert.

PS : La suite de l’excellent Dernière Séance, c’est Texasville, que je vous recommande avec autant de conviction : Même lieu, mêmes personnages, trente ans plus tard… Les ados sont à présent en pleine crise de la quarantaine. La boucle est bouclée ?

Gagner la guerre, de Jean-Philippe Jaworski

C’est l’histoire d’un salaud qui tombe sur plus salaud que lui…

Parce qu’une quat’ de couv’ vaut parfois mieux qu’un long discours 

 

Gagner une guerre, c'est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d'orgueil et d'ambition, le coup de grâce infligé à l'ennemi n'est qu'un amuse-gueule. C'est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l'art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c'est au sein de la famille qu'on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c'est plutôt mon rayon...

Une fois n’est pas coutume, je vous livre telle quelle la quatrième de couverture du roman, publié tout d’abord chez les Moutons électriques avant d’être repris en poche chez Gallimard. J’ai acheté le bouquin pour deux raisons : le titre, qui m’intriguait et dont j’ai adoré la « petite musique », et cette quatrième de couverture, qui pour moi n’annonçait que du très bon.

Un peu d’histoire


Je vais faire court, pour ne pas dénaturer cette intrigue incroyablement riche, complexe, bourrée de rebondissements. Nous sommes dans la florissante Cité-Etat maritime de Ciudalia, régie par un sénat extrêmement puissant, et en guerre avec le Royaume de Ressine depuis trop longtemps. Or, la guerre, Ciudalia vient de la gagner, grâce à une bataille navale épique menée au Cap Scybilos.

Avec cette guerre, le podestat Leonide Ducatore est révélé comme l’homme providentiel, le sénateur sauveur de Ciudalia, sur le point d’obtenir les pleins pouvoirs. Et ce n’est pas un hasard… Car durant cette guerre, une formidable partie d’échecs s’est jouée, non seulement avec l’ennemi, mais aussi contre les autres membres du sénat. L’intelligence de Ducatore a été d’utiliser au mieux tous ses pions, y compris les moins respectables…

Don Benevuto (personnage déjà évoqué dans un précédent recueil de nouvelles, Janua Vera), est l’un de ces pions : assassin de métier, membre de la Ligue des Chuchoteurs, et ordure de première, au service de Ducatore pour le meilleur et pour le pire. Ne vous en faites pas, le pire arrivera très vite…

Michel Audiard chez les Borgia


Tenir une histoire forte est loin d’être suffisant : Jean-Philippe Jaworski l’a bien compris, lui qui use, pour ce superbe premier roman, d’une langue digne des Tontons flingueurs. Car Don Benvenuto, narrateur de l’histoire, n’est pas un courtisan, loin de là. Elevé dans les quartiers populaires et "naviguant" (façon de parler, vu le mal de mer dont est victime le bonhomme) avec les pires canailles de Ciudalia, il en a conservé la verve argotique, la gouaille fleurie, et un certain goût pour la métaphore brutale et lyrique (oui, les deux termes ne sont pas forcément opposés, pas chez Jaworski en tout cas).

Le résultat ? Tous les territoires explorés par Don Benvenuto au cours de ses mésaventures nous apparaissent exactement comme si on y était. La majestueuse Ciudalia, l’exotique royaume de Ressine, les terres du nord, de plus en plus glaciales… On pense à la Rome antique, à l’empire Ottoman, aux celtes et aux royaumes viking. Ce patchwork d’images et de références est convié dans les pages de Gagner la guerre, non sans succès : on obtient au final un monde riche, contrasté mais cohérent, pour avoir fait l’objet d’un véritable travail de dentellière.De rues étroites en marécages boueux, de palais persans en bourgades pluvieuses, l'incroyable puissance d'évocation de l'auteur, présente à chaque ligne, transforme le lecteur en "voyageur sans bagages".

Mais, attention, l’histoire est on ne peut plus cruelle. Si la série Trône de fer vous fait frémir, avec Gagner la guerre, vous risquez très vite d’avoir la nausée. Car Jaworski ne nous épargne pas, non plus que son héros, lancé à pleine vapeur dans ce petit jeu de massacre. Gare aux âmes sensibles : Ce livre va vous offrir une nouvelle expérience de la douleur.

On retrouve évidemment les influences de l’auteur du jeu de rôle Te Deum pour un massacre (basé cette fois sur les guerres de religion). Quand il s’agit de faire couler le sang, Jaworski a toujours une longueur d’avance.

En résumé : si vous n’avez pas peur de vous salir les mains et de vous attacher à un salaud, si vous avez le cœur bien accroché et aimez l’humour noir, ce bouquin est pour vous. Et si vous avez également besoin de vibrer au rythme d’un style superbe, aussi épique que coloré, Gagner la guerre pourrait bien devenir votre livre de chevet pour un bon moment.

samedi 10 mai 2014

Les 5 auteurs que j’achète (en ce moment) les yeux fermés

Mes 5 auteurs incontournables du moment, ceux qui pourraient écrire un livre de cuisine, ou un manuel de bricolage, et qui me feraient quand même dégainer mon portefeuille…

Certaines listes doivent être régulièrement remises à jour. Il y a quinze, vingt ans, j’aurais répondu du tac-au-tac : Daniel Pennac, Stephen King, Robert Merle, et peut-être Colette et Zola (j’étais jeune et encore impressionnable). Il y a dix ans : W. Wilkie Collins, Jack London, James Ellroy, Terry Pratchett et Tom Sharpe. Voici les 5 auteurs que je vénère aujourd’hui, et rendez-vous dans 5 ans (ou dans six mois) !


1. Craig Johnson


Si vous n’avez pas encore fait connaissance avec le shérif Longmire, foncez ! C’est l’un des personnages les plus attachants de la littérature américaine contemporaine, qui, pour ma part, m’a fait penser à Benjamin Malaussène, format XXL (Longmire se plaint constamment d’avoir besoin de maigrir). Les romans de Craig Johnson nous font respirer le bon air du Wyoming. Vous y rencontrerez la sympathique population locale, ses fermiers, ses cheyennes, et aussi ses meurtriers… Du policier comme je les aime : profond, souvent épique, très humain, et extrêmement drôle. Foncez, vous dis-je !

2. Donald Westlake


Evidemment, puisque le bonhomme a eu le mauvais goût de casser sa pipe il y a quelques années, la réserve d’inédits et de manuscrits de fond de tiroir risque de s’épuiser trop rapidement. Tant pis, on relira les vieux titres ! Tout, chez Westlake, est excellent, son œuvre au noir comme les mésaventures de Dortmunder. Si vous n’avez pas lu Le Couperet, Drôles de frères ou Mémoire Morte, réjouissez-vous ! La mort de Westlake ne vous accablera pas tout de suite. D’ici quelques mois, en revanche, vous risquez de vous retrouver fort démunis, tout comme moi actuellement. Heureusement, ces braves éditeurs viennent de nous dévoiler un nouvel épisode du cambrioleur calamiteux, hourrah ! Ça s’appelle Top Réalité, et je le commence tout juste. On en reparle bientôt, promis, juré !

3. Alain Damasio


Oui. Je sais, je ne suis pas la seule. Je sais, crier au génie à la lecture de La Horde du contrevent, c’est devenu complètement cliché chez les amateurs de SF. Je sais, en plus, le bonhomme publiant un livre toutes les éclipses solaires totales, on ne prend pas grand risque à investir dans tout ce qu’il produit. Je sais, La Zone du dehors n’était tout de même pas aussi brillant, mais bon, c’était son premier, il fallait le laisser s’échauffer un peu. Cinq ans (ou à peu près) après avoir lu La Horde, je me pose toujours pas mal de questions. Du genre : c’est vraiment possible d’écrire comme ça ? Ou encore : Mais en fait, c’est quoi, le vif ? Ceux qui possèdent la réponse à la seconde question seraient bien inspirés de m’envoyer un petit message.

4. Antoine Bello


Encore un Français qui a de la ressource (comme quoi, tout n’est pas perdu au pays de Molière). Journaliste et auteur des excellents Falsificateurs et Eclaireurs, de quelques nouvelles sacrément réussies, et d’autres œuvres que je n’ai pas encore eu le temps de lire, mais qui font partie de ma « to read list », Antoine Bello combine avec bonheur génie de l’intrigue et intérêt documentaire. Ne tardez plus à le découvrir, ce type est vraiment très, très fort.

5. Jean-Philippe Jaworski ou Louis Bayard ?


Dilemme. Car, évidemment, il m’était impossible de conduire une bête liste à son terme sans bafouiller dans la dernière ligne droite.

Il se trouve que ces deux auteurs me plaisent de manière égale, mais que, pour des raisons différentes, il m’est difficile de les départager. Commençons par Jaworski, après tout, cocorico. Jaworski est effectivement français, comme son nom l’indique peu. Il est entre autres l’auteur du grandiose Gagner la guerre, un véritable bijou de verve et de cruauté racontant les aventures d’un assassin naviguant dans les hautes sphères du pouvoir, dans un univers Renaissance-fantastique qui n’est pas sans rappeler Trône de fer, avec une touche de Borgia. Le héros est laid, brutal, déloyal, sans pitié et sans guère de scrupules. Vous allez l’adorer, je vous connais. Le problème ? Je n’ai rien lu d’autre de cet auteur, en vertu de ce fichu manque de temps qui m’empêche d’engranger la bibliographie complète de mes coups de cœur. Il a publié de nombreuses nouvelles, son dernier roman, Même pas mort est sorti en 2013 et devrait être suivi de deux autres dans le cycle des Rois du Monde, et donc, je ne peux pas savoir si le bonhomme a transformé son magnifique essai (Gagner la guerre est son premier roman).

Quant à Louis Bayard, j’ai déjà eu l’honneur d’évoquer cet amoureux du roman historique, incroyablement doué, qui a lui aussi démarré sa carrière dans l’écriture par le journalisme (Cf : L’héritage Dickens dans « Polars et thrillers »). Si vous ne l’avez pas encore lu, c’est que j’ai raté mon coup, tant pis pour moi. Mais je vous jure que vous manquez quelque chose. Le problème ? Les éditeurs français semblent bouder le descendant du Chevalier Bayard (véridique !). Je sais que le bonhomme a publié aux Etats-Unis deux nouveaux romans, le premier situé durant la période élisabéthaine, le second racontant une aventure dont Roosevelt serait le héros, en 1914. Le Cherche-Midi s’est-il désengagé de ce petit prodige ? Toujours est-il que je cherche, désespérément, les signes d’une prochaine publication de Bayard en France. Avec dans l’idée d’envoyer peut-être un mail de menaces à son éditeur français, pour lui montrer comme je gère fabuleusement bien la frustration.

Erratum : Je viens de me rendre compte que l'avant-dernier opus de Louis Bayard était disponible en France depuis octobre 2013 ! Honte à moi (et honte aux libraires qui m'ont trahie !) ! Bouquin commandé, ça s'appelle L'Ecole de la nuit, et je vous en reparle très, très vite.