jeudi 15 mai 2014

Gagner la guerre, de Jean-Philippe Jaworski

C’est l’histoire d’un salaud qui tombe sur plus salaud que lui…

Parce qu’une quat’ de couv’ vaut parfois mieux qu’un long discours 

 

Gagner une guerre, c'est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d'orgueil et d'ambition, le coup de grâce infligé à l'ennemi n'est qu'un amuse-gueule. C'est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l'art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c'est au sein de la famille qu'on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c'est plutôt mon rayon...

Une fois n’est pas coutume, je vous livre telle quelle la quatrième de couverture du roman, publié tout d’abord chez les Moutons électriques avant d’être repris en poche chez Gallimard. J’ai acheté le bouquin pour deux raisons : le titre, qui m’intriguait et dont j’ai adoré la « petite musique », et cette quatrième de couverture, qui pour moi n’annonçait que du très bon.

Un peu d’histoire


Je vais faire court, pour ne pas dénaturer cette intrigue incroyablement riche, complexe, bourrée de rebondissements. Nous sommes dans la florissante Cité-Etat maritime de Ciudalia, régie par un sénat extrêmement puissant, et en guerre avec le Royaume de Ressine depuis trop longtemps. Or, la guerre, Ciudalia vient de la gagner, grâce à une bataille navale épique menée au Cap Scybilos.

Avec cette guerre, le podestat Leonide Ducatore est révélé comme l’homme providentiel, le sénateur sauveur de Ciudalia, sur le point d’obtenir les pleins pouvoirs. Et ce n’est pas un hasard… Car durant cette guerre, une formidable partie d’échecs s’est jouée, non seulement avec l’ennemi, mais aussi contre les autres membres du sénat. L’intelligence de Ducatore a été d’utiliser au mieux tous ses pions, y compris les moins respectables…

Don Benevuto (personnage déjà évoqué dans un précédent recueil de nouvelles, Janua Vera), est l’un de ces pions : assassin de métier, membre de la Ligue des Chuchoteurs, et ordure de première, au service de Ducatore pour le meilleur et pour le pire. Ne vous en faites pas, le pire arrivera très vite…

Michel Audiard chez les Borgia


Tenir une histoire forte est loin d’être suffisant : Jean-Philippe Jaworski l’a bien compris, lui qui use, pour ce superbe premier roman, d’une langue digne des Tontons flingueurs. Car Don Benvenuto, narrateur de l’histoire, n’est pas un courtisan, loin de là. Elevé dans les quartiers populaires et "naviguant" (façon de parler, vu le mal de mer dont est victime le bonhomme) avec les pires canailles de Ciudalia, il en a conservé la verve argotique, la gouaille fleurie, et un certain goût pour la métaphore brutale et lyrique (oui, les deux termes ne sont pas forcément opposés, pas chez Jaworski en tout cas).

Le résultat ? Tous les territoires explorés par Don Benvenuto au cours de ses mésaventures nous apparaissent exactement comme si on y était. La majestueuse Ciudalia, l’exotique royaume de Ressine, les terres du nord, de plus en plus glaciales… On pense à la Rome antique, à l’empire Ottoman, aux celtes et aux royaumes viking. Ce patchwork d’images et de références est convié dans les pages de Gagner la guerre, non sans succès : on obtient au final un monde riche, contrasté mais cohérent, pour avoir fait l’objet d’un véritable travail de dentellière.De rues étroites en marécages boueux, de palais persans en bourgades pluvieuses, l'incroyable puissance d'évocation de l'auteur, présente à chaque ligne, transforme le lecteur en "voyageur sans bagages".

Mais, attention, l’histoire est on ne peut plus cruelle. Si la série Trône de fer vous fait frémir, avec Gagner la guerre, vous risquez très vite d’avoir la nausée. Car Jaworski ne nous épargne pas, non plus que son héros, lancé à pleine vapeur dans ce petit jeu de massacre. Gare aux âmes sensibles : Ce livre va vous offrir une nouvelle expérience de la douleur.

On retrouve évidemment les influences de l’auteur du jeu de rôle Te Deum pour un massacre (basé cette fois sur les guerres de religion). Quand il s’agit de faire couler le sang, Jaworski a toujours une longueur d’avance.

En résumé : si vous n’avez pas peur de vous salir les mains et de vous attacher à un salaud, si vous avez le cœur bien accroché et aimez l’humour noir, ce bouquin est pour vous. Et si vous avez également besoin de vibrer au rythme d’un style superbe, aussi épique que coloré, Gagner la guerre pourrait bien devenir votre livre de chevet pour un bon moment.

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