jeudi 15 mai 2014

La Dernière Séance, de Larry McMurtry

Grand classique du roman américain du 20e siècle : La Dernière Séance de Larry McMurtry offre l’un des regards les plus lucides de la littérature sur la fin de l’adolescence. 

 

Séance de rattrapage


Pour ceux qui n’auraient jamais, ni vu le film de Peter Bogdanovitch (avec Timothy Bottoms et Jeff Bridges, 1971), ni lu ce grand roman, il est vrai assez peu connu en France et publié en 1966 aux Etats-Unis sous le titre The Last Picture Show, petit rappel de La Dernière Séance :

Larry McMurtry raconte une histoire simple, ou plutôt, plusieurs histoires. C’est une fois superposées qu’elles prennent évidemment (sinon le roman ne serait pas si bon) tout leur sens.

C’est l’histoire de Sonny et Duane, deux adolescents sur le point de quitter le lycée et d’entrer dans le monde des adultes, qui papillonnent en attendant entre leurs petits jobs sur la plate-forme pétrolière, et leur séances de cinéma au drive-in où l’on fait tout, sauf admirer les stars.

C’est l’histoire d’un cinéma de plein air sur le point d’éteindre pour toujours ses projecteurs.

C’est l’histoire d’une bande de gamins qui ne rêvent que de séduire les plus belles filles, et de les emporter loin de ce trou perdu qu’ils n’ont jamais quitté : la petite bourgade de Thalia, au fin fond du Texas.

C’est l’histoire d’un garçon un peu simplet qui nous rappelle, tragiquement, le Lennie Small des Souris et des hommes.

C’est l’histoire d’un jeune homme qui tombe amoureux d’une femme « trop vieille pour lui ».

C’est l’histoire de deux vagues vedettes locales du football américain (Sonny et Duane, toujours) qui découvrent que la vraie vie se fout de leur gloriole.

Sexe, fantasmes et illusions perdues


Évacuons tout de suite la question de l’adolescence éternelle, ou plutôt, l’idée que la jeunesse d’hier n’est guère différente de celle d’aujourd’hui. A force d’être brandie comme un étendard, l’idée a singulièrement perdu de son originalité. Mais, oui, c’est vrai, on retrouve chez McMurtry les mêmes tourments que ceux que l’on a pu vivre au lycée (ou peut-être au collège, puisqu’il paraît que nous mûrissons plus vite, à moins que…). A savoir : la nécessité de perdre sa virginité au plus vite, si possible avec un partenaire dont on n’ait pas à rougir, mais à défaut…

Oui, résumer l’adolescence à une question de sexe, c’est mettre de côté la complexité profonde du passage de l’enfance à l’âge adulte. Et, justement, dans Larry McMurtry, il n’est pas seulement question de sexe, même s’il constitue « la première couche » du roman.

Dans cette petite ville puritaine du sud des États-Unis, perdue au milieu du désert, le sexe, vu par les ados, est un instrument de provocation et de rébellion diablement séduisant. On s’échappe de la réalité et des conventions sociales à coup de séances de pelotage au drive-in du coin, on fait des virées dans la ferme voisine pour se soulager dans le bétail (véridique !), sans s’avouer qu’au fond, on ne fait que reproduire une sorte de rituel conduit, sous d’autres formes, depuis des générations.

Mais nous sommes dans les années 1950 : Le plus petit acte de révolte évoque immanquablement les premiers germes d’une société nouvelle, et pas seulement chez les jeunes…

Il y a aussi, chez l’auteur, l’analyse d’une jeunesse hésitante, aussi bien esclave de son image que des codes de la société. Des gamins qui, à 17 ans, vivent déjà sur leur réputation, et l’entretiennent en rêvant de séduire les plus jolies filles. Il y a aussi, évidemment, la trouille profonde de mettre un pied hors de leur trou perdu : hors d’Althea, ils ne seront plus rien.

Et puis, enfin, il y a les adultes, et c’est la grande force de McMurtry de ne pas s’enfermer dans un tableau typiquement adolescent, car les personnages plus âgés sont au moins aussi profonds et passionnants.

Trou perdu, types paumés


Les « vieux » ne sont pas épargnés dans cette tranche de vie. Ils sont parfois brutaux, comme le mari de Ruth, un prof de sport plutôt bas de plafond qui tient son épouse sous sa coupe. Parfois pitoyables et magnifiques, comme Ruth, premier véritable amour de Sonny, qui met tout son désespoir dans sa romance avec le jeune homme. On rencontre aussi la mère alcoolique et désabusée de Jacy, riche petite amie de Duane et insupportable gamine gâtée.

La galerie de portraits pourrait se poursuivre encore quelques pages, entre Sam Le Lion, propriétaire du Drive-in, et les multiples personnages de ce récit pourtant court : un concentré de vies coulant grain après grain, comme le sable du désert.

PS : La suite de l’excellent Dernière Séance, c’est Texasville, que je vous recommande avec autant de conviction : Même lieu, mêmes personnages, trente ans plus tard… Les ados sont à présent en pleine crise de la quarantaine. La boucle est bouclée ?

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